Le patriarche maronite Béchara Raï a reçu du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres une réponse à la lettre qu’il lui avait envoyée, avec un dossier complet et documenté sur ses prises de position et une explication de l’initiative présentée par Bkerké fin février 2021 en faveur de l’adoption d’un statut de neutralité positive pour Liban et de l’organisation d’une conférence internationale spéciale pour mettre fin à la crise libanaise. Dans sa missive, le responsable onusien a applaudi l’initiative, s’engageant à l’ "adopter " et à œuvrer en faveur de son application.

Cette lettre a figuré au menu de l’entretien à Bkerké entre le patriarche maronite et le secrétaire aux relations entre les États de la secrétairerie d’État du Vatican, Mgr Paul Richard Gallagher, lors de la visite de ce dernier au Liban la semaine dernière.

Mgr Gallagher, qui a transmis à Mgr Raï toute la sollicitude du pape François pour le Liban et sa sortie de crise, s’est vu remettre une copie du dossier adressé par Bkerké au secrétaire général de l’ONU, ainsi que la réponse de M. Guterres, dans laquelle ce dernier souligne “la nécessité de mener une enquête rapide, indépendante, impartiale, globale et transparente dans l’affaire de l’explosion au port de Beyrouth”, ainsi que son “soutien ferme à la stabilité, la sécurité, l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance politique du Liban, conformément aux résolutions 1680, 1701, 1559 et 2591 du Conseil de sécurité et à toutes les résolutions pertinentes ". Le responsable onusien appelle enfin à l’application de la politique de dissociation et au respect de la déclaration de Baabda (2012).

Pour des milieux diplomatiques, la mise en œuvre de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU constitue l’entrée en matière pour la résolution de la crise libanaise, dans la mesure où elle implique le désarmement des arsenaux qui échappent à la légalité, et ce quelle que soit la nationalité de leurs propriétaires, libanaise, palestinienne ou syrienne.

La résolution 1559 est devenue une carte entre les mains de la communauté internationale, qui planche pour sa mise en œuvre, estiment ces milieux. L’application de la résolution figurait au menu du “cahier des charges” représenté par l’initiative koweïtienne, une feuille de route pour Beyrouth élaborée par le Conseil de coopération du Golfe, les pays arabes et les pays du Groupe de soutien international pour le Liban, et soumise aux autorités libanaises en janvier par le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Ahmad Nasser al-Mohammad al-Sabah. La démarche avait été considérée comme complémentaire de l’action menée par Antonio Guterres, qui avait appelé à une séance spéciale du Conseil de sécurité pour débattre du dossier libanais sous tous ses aspects et prendre les mesures nécessaires pour sortir le Liban de sa crise politique et de ses conséquences sociales et économiques.

Les cercles du Vatican examinent également le dossier libanais conformément à la volonté de François, dont le souci est le salut du “Liban-Message”, selon la formule de Saint Jean-Paul II. Mgr Gallagher aurait transmis dans ce cadre le soutien du pape aux constantes énoncées par le patriarche maronite formulées dans son initiative de février 2021, notamment celles relatives à la souveraineté et la neutralité du Liban.

Selon des sources politiques citant des responsables occidentaux, la décision de libérer le Liban aurait été prise et des démarches concrètes en vue de cet objectif seraient actuellement en cours de préparation au sein des capitales de décision.

D’après l’un des interlocuteurs libanais de Mgr Gallagher, le pape, très préoccupé par la situation du pays, poursuivrait ce dossier au quotidien. Le souverain pontife ne serait pas favorable à la tenue d’une conférence internationale pour le Liban dans les circonstances actuelles, de peur que le dossier libanais ne fasse l’objet de marchandages politiques et ne soit victime des rapports de force. C’est pourquoi il presse les Libanais de trouver eux-mêmes une solution, sans qu’elle ne soit confié in fine à des décideurs étrangers. D’autant que les sanctions contre les obstructionnistes opèrent, et que les pays européens et du Golfe pourraient emboîter le pas aux États-Unis, indiquent par ailleurs des sources diplomatiques.

La “solution libanaise” prônée par François passerait par l’application de l’accord de Taëf et la consécration du partenariat islamo-chrétien sans remise en question de la formule libanaise, pour éviter un torpillage de l’idée libanaise au profit de la logique de l’alliance des minorités. Au cours de sa visite aux différentes autorités de référence religieuses, Mgr Gallagher aurait exprimé dans ce cadre son attachement à la parité islamo-chrétienne et à la formule du vivre-ensemble, loin des tentatives de changer le visage, l’identité, le rôle et la mission du Liban, à travers une modification de son pacte national ou de son système politique.

Béchara Raï attendrait les résultats éventuels de la réunion sur le Liban prévue à New York à la mi-mars. António Guterres a précédé la réunion par une session du Conseil de sécurité début février pour discuter des résolutions internationales sur le Liban, qui s’est terminée par une déclaration soulignant: – la nécessité de tenir les élections législatives, entreprendre les réformes; – finaliser le projet de budget; – entamer les négociations avec le Fonds monétaire international; – mener une enquête sur les agressions perpétrées contre les patrouilles de la FINUL; – mettre en œuvre les résolutions internationales, notamment la 1559 et la 1701; – adopter une politique de distanciation à l’égard des conflits; – respecter la déclaration de Baabda et placer le Liban à l’écart des conflits extérieurs.

Le patriarche maronite, qui a décidé de célébrer lui-même l’office à l’occasion de la Saint Maron à Gemmayzé le 9 février, devrait profiter de l’occasion pour réaffirmer les constantes de son initiative et adresser un message clair, après avoir intensifié ses contacts locaux et internationaux.

De sources politiques bien informées, Bkerké serait agacé par les prise de position de certaines forces politiques qui continuent d’assurer une couverture aux parties qui possèdent des armes illégales, au profit d’un projet politique régional d’un agenda non-libanais. D’autant que cela n’a pas été sans provoquer l’effondrement des secteurs scolaire, universitaire, hospitalier, bancaire et touristique, soit tous les piliers sociétaux fondamentaux, menaçant l’identité culturelle et le visage du Liban dans la région.

La question se pose ainsi de savoir comment une partie peut prétendre œuvrer à la préservation et la garantie des droits des chrétiens et initier en même temps des attaques tous azimuts contre des institutions publiques dirigées par des chrétiens? Quelles sont les dimensions et les objectifs de cette politique, à l’ombre de la présence d’une composante politique qui jouit d’un excès de pouvoir, contrôle le pays et agit hors du cadre de la loi? D’autant qu’à travers son implication dans tous conflits de la région, cette composante a isolé le Liban de son environnement arabe et provoqué une rupture des relations avec les pays du Golfe, si bien que ce dernier se trouve désormais au ban du monde entier, et dans le giron de l’Iran.

Selon des sources politiques de l’opposition, Bkerké craint un torpillage des élections législatives, en dépit des appels répétés de la communauté internationale pour que le scrutin ait lieu dans les délais impartis. Cette possibilité reste de mise si le Hezbollah se rend compte qu’il est incapable de s’assurer une majorité confortable avec ses alliés comme en 2018, d’où le retour notamment à cette volonté d’imposer la 16e circonscription pour circonscrire le vote des émigrés. Un report des élections d’un an permettrait au Hezbollah de piloter l’échéance présidentielle à sa convenance pour assurer l’élection d’une personnalité capable de renouveler la couverture légale et légitime à ses armes.

Or toute prorogation du mandat du Parlement serait illégale, de même que le maintien du président de la République Michel Aoun à Baabda, après la fin de son sexennat.