Le Conseil des ministres s’est réuni hier sous la présidence du Premier ministre pour contenir les retombées des poursuites menées contre les banques. Il a été décidé de confier au ministre de la Justice le suivi du dossier en coopération avec les tenants du pouvoir judiciaire.

Le Conseil des ministres a tenu une réunion exceptionnelle de près de trois heures dans la matinée de samedi, sur convocation du Premier ministre Nagib Mikati, pour essayer de contenir les conséquences déstabilisatrices des poursuites judiciaires menées par la juge Ghada Aoun, proche du camp du président de la République, contre les banques.

Présidée par le Premier ministre Nagib Mikati au Grand Sérail, la réunion s’est tenue en l’absence de représentants des magistrats, sur l’avis du ministre de la Justice Henri Khoury, alors qu’il avait été question dans un premier temps de convier à la réunion le président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud, du procureur général près la cour de Cassation, Ghassan Oueidate et du président de l’Inspection judiciaire, Borkan Saad. Selon le Premier ministre, M. Khoury l’aurait contacté la veille pour le convaincre de tenir une réunion "entre ministres" uniquement, même si rien n’aurait empêché légalement, selon lui, d’inviter les juges à la réunion.

Se sont en outre absentés du Grand Sérail les ministres respectifs des Travaux publics Ali Hamiyé, des Affaires sociales Hector Hajjar et de l’Énergie Walid Fayad.

La réunion a abouti à valider une solution intermédiaire, annoncée par le Premier ministre lors d’un point de presse. Il s’agit de "la décision prise lors de la précédente réunion du cabinet (en date du mercredi 16 mars, ndlr), de charger le ministre de la Justice d’élaborer une vision pour résoudre les affaires liées à la justice et l’origine des défaillances qui risquent de l’entraver, et de soumettre cette vision à l’examen du Conseil des ministres au plus tôt". "Compte tenu de la responsabilité du gouvernement dans la détermination de la politique publique du pays, dans le respect du principe de coopération, d’équilibre et de complémentarité des pouvoirs, et par souci de notre part de maintenir une stabilité à tous les niveaux, le Conseil a demandé que la loi prenne son cours sans discrimination ni sélectivité, et qu’une initiative soit prise pour régler la situation judiciaire selon les lois en vigueur et les prérogatives qu’elles prévoient, et cela par les tenants du pouvoir judiciaire, chacun en fonction de ses compétences, de manière à préserver les droits de tous, à commencer par les droits des déposants", a annoncé le chef du gouvernement.

"Les saisies ne protégeront pas les petits déposants"

Dans ce contexte, le cabinet a "chargé le ministre des Finances de demander à la Banque du Liban de prendre les mesures nécessaires, et de le faire immédiatement, pour lever les restrictions au retrait des salaires domiciliés dans les banques", a-t-il dit.

Il a également rapporté, en citant le vice-président du Conseil, "la progression rapide du plan de redressement économique et des projets de loi qui y sont liés, en vue de leur examen en Conseil des ministres".

"Nous avons également souhaité que le Parlement accélère le vote de la proposition de loi sur le contrôle des capitaux", a-t-il dit, en mettant en avant "la priorité de sauvegarder les droits des déposants", notamment pour les " petits " dépôts. "L’argent de près de 90% des déposants sera garanti par l’État et payé aux petits déposants", selon le plan de redressement prévu, a-t-il dit.

C’est donc ce plan qui va garantir le droit des petits déposants, et non les poursuites "menées par les grands déposants" contre les banques. "Il ne faut pas se réjouir à la vue des saisies ordonnées contre les banques (…) parce qu’il s’agit d’actions intentées par les " grands " déposants qui ne laisseront rien aux petits déposants", a poursuivi le Premier ministre.

A une question sur la grève des banques confirmée la veille, Nagib Mikati a appelé celles-ci à "se recentrer sur l’intérêt national, comme de coutume, en évitant de faire un choix négatif, de sorte que nous coopérions tous en vue d’une issue à la crise".

Rectifier le cours de la justice

Mettant en avant "l’unicité" de l’équipe ministérielle, Nagib Mikati a valorisé la volonté du cabinet réuni de trouver une issue à la crise, sans porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, ni s’ingérer dans les affaires judiciaires. "Nous ne nous réunissons pas pour protéger un secteur en particulier, notre objectif étant plutôt de préserver les équilibres de sorte que nous n’atteignons pas une phase où tous les secteurs seraient perdants", a-t-il déclaré.

"Certes, il y a une séparation des pouvoirs (…) mais selon le préambule de la constitution, il y a un équilibre et une complémentarité entre les pouvoirs. Lorsqu’on a constaté que cet équilibre se perdait, nous nous sommes réunis pour le rétablir, en recourant aux tenants du pouvoir judiciaire, selon les règles de procédure pénale", a-t-il dit, en annonçant que la démarche sera " suivie de près dans les prochains jours".  Il a fait remarquer que des quatre magistrats ou ex-magistrats nommés ministres au sein du cabinet, tous se sont entendus sur l’existence d’abus judiciaires et la nécessité d’y remédier. Plus précisément, "il y a eu unanimité entre eux sur ce que le parquet peut et ne peut faire, comme par exemple la nécessité de coordonner au préalable avec la Banque centrale toute saisie ordonnée contre une banque et de respecter le code de procédure pénale (articles 15, 16, 17 et surtout 19)". "Il y eu unanimité sur le fait que certaines mesures judiciaires prises étaient déplacées, c’est pourquoi nous avons évoqué la nécessité de rectifier le cours de la justice", a-t-il ajouté.

Révocation des magistrats

Et le Premier ministre de préciser en outre que "rien n’empêche le Conseil des ministres de convier les magistrats et de les écouter. Le Conseil qui nomme les magistrats a compétence à les entendre (…). Je ne vois pas pourquoi on en a fait tout un problème". Et d’ajouter, en réponse à une question, que "rien n’empêche" une éventuelle révocation des juges par l’autorité qui les nomme, si la coopération échoue.

En contrepartie, il a tenu à préciser que "le cabinet ne s’est pas réuni pour protéger les banques, ni le gouverneur, mais les institutions (…) et pour que la justice prenne son cours, d’abord en protégeant les petits déposants".

Il a enfin écarté tout risque d’un report des législatives, qui serait l’objectif tacite de la cabale contre les banques. "Nous tenons aux élections qui sont au cœur de la feuille de route de notre cabinet", a-t-il conclu.