La procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, a engagé des poursuites contre Riad Salamé, gouverneur de la Banque centrale, et transmis le dossier de l’enquête au premier juge d’instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour. Compte tenu de la politisation à outrance du dossier des banques – auxquelles on essaie de faire porter seules le chapeau de la faillite de l’Etat – l’espoir d’un retour aux fondements de la justice reste ténu.

Le Premier ministre Najib Mikati a réalisé une petite victoire en parvenant à freiner les dérives politico-judiciaires qui menaçaient le secteur bancaire, c’est-à-dire le pilier de base de l’économie libanaise. La procureure générale près la Cour d’appel, Ghada Aoun, a transmis lundi au premier juge d’instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour, le dossier de l’enquête qu’elle monopolise et mène au sujet des accusations portées par deux groupes d’avocats-activistes contre le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, et son frère, Raja Salamé.

Certes, avant de transférer le dossier à Nicolas Mansour, Ghada Aoun a engagé des poursuites pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent contre Riad et Raja Salamé, Anna Kosakova, une présumée ancienne compagne du gouverneur de la BDL, et des compagnies proches de ces deux derniers.

Il s’agit de poursuites pénales qui font suite à des plaintes déposées pour les mêmes griefs auprès de Mme Aoun par deux groupes, "Mouttahidoun" et "les pionniers de la justice", qui se sont érigés en justiciers et dont les démarches trouvent à chaque fois un écho favorable immédiat auprès de la juge. De ce fait, une procédure supposée normalement faire la vérité sur des présomptions déterminées s’est vite transformée en une véritable chasse aux sorcières suivant un principe pervers: coupable jusqu’à preuve du contraire.

L’acharnement de Mme Aoun contre le secteur bancaire a été ouvertement condamné au cours des derniers jours par le Premier ministre libanais, ainsi que par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, le métropolite Elias Audi et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, ainsi que par plusieurs autres personnalités qui redoutent les conséquences fatales de ces dérives sur le Liban. Seul le camp présidentiel dont Mme Aoun est proche, a applaudi à une procédure qui pourrait lui permettre, entre autres ambitions, de se débarrasser de Riad Salamé pour le remplacer par un de ses yes-man.

Najib Mikati devait vigoureusement protester vendredi, lors d’une réunion à Baabda avec le président Michel Aoun et le chef du législatif Nabih Berry, contre le comportement de Mme Aoun. Il avait auparavant convoqué le ministre de la Justice, Henry Khoury, pour lui demander d’intervenir afin de remettre de l’ordre dans un système judiciaire instrumentalisé à outrance.

Selon diverses sources concordantes, c’est après avoir convaincu le chef de l’Etat de la gravité de l’acharnement judiciaire contre le système bancaire qu’il a convoqué un Conseil des ministres extraordinaire, samedi, afin d’examiner ce dossier. Très peu d’informations ont pu être obtenues au sujet des délibérations, mais, toujours selon les mêmes sources, les discussions ont porté sur les moyens de revenir aux fondements de la justice qu’une procédure judiciaire est censée refléter.

Il ne s’agit pas de dessaisir Ghada Aoun du dossier, sachant que la juge refuse d’être notifiée de tous les recours en dessaisissement présentés contre elle, mais de revenir à une procédure normale, à savoir que la procureure, qui a jusque-là monopolisé l’enquête, défère le dossier à un juge d’instruction pour qu’il mène ses investigations.

Et c’est ce qui a été réalisé. Mme Aoun a engagé des poursuites contre MM. Salamé et Mme Kosakova, avant de déférer le dossier de l’enquête à Nicolas Mansour. Jeudi, elle avait arrêté Raja Salamé au terme d’une audience, suite à une plainte pour blanchiment d’argent du groupe "les pionniers de la justice", déposée sur base d’informations de presse au sujet des activités de ses compagnies. Lundi, toujours sous l’impulsion de ce même groupe, elle a imposé au frère du gouverneur une interdiction de disposer de ses biens meubles et immeubles. Elle avait aussi convoqué Riad Salamé à une audience lundi, mais ce dernier n’a pas comparu puisqu’il avait présenté contre Mme Aoun un recours en dessaisissement du dossier de l’enquête, en lui reprochant un parti-pris flagrant dans cette affaire.

La juge a également engagé des poursuites contre tous les membres du conseil central de la BDL et des commissaires du gouvernement, actuels et anciens, qui ont assumé des responsabilités sous le mandat de Riad Salamé, en poste depuis 1992.  Ces derniers sont accusés par "Mouttahidoun" et "les pionniers de la justice" de "manquements aux devoirs de la fonction, fautes graves dans la gestion d’un service public, dilapidation de fonds publics, violation des lois et des règles financières stipulées dans le Code de la monnaie et du crédit, abus de pouvoir et atteinte à la situation financière de l’Etat".

Pendant ce temps, la Ligue des déposants, un autre groupe occulte, a porté plainte contre les banques devant le juge des référés, à cause de la grève de deux jours qu’elles ont décrétée pour protester contre la mise sous scellés de Fransabank, de Creditbank et de la branche de la Blom bank à Tripoli. L’Association des banques au Liban (ABL) qui était montée au créneau vendredi, devait tenir une deuxième réunion lundi, mais celle-ci n’a pas eu lieu, probablement en attendant de voir l’évolution de l’initiative lancée par le Premier ministre pour mettre fin aux dérives judiciaires.