Le mystérieux richissime homme d’affaires et candidat aux élections législatives, Omar Harfouche, affirme que la procureure Ghada Aoun a été son " invitée " à Paris pour participer à un colloque sur la corruption.

L’Evangile selon Saint Matthieu, chapitre 7, versets 3 à 5, rapporte des paroles de Jésus-Christ dans son sermon sur la montagne : " Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil " ?

Cette parabole de la paille et de la poutre, évoquée en outre dans l’Évangile de Saint Thomas, s’appliquerait-elle à la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban Ghada Aoun qui se pose en porte-étendard de la lutte contre la corruption et en "Madame mains propres" au Liban ? La question se pose avec acuité, à en juger par des faits survenus lundi dernier à Paris.

Un bref rappel, d’abord : la procureure Ghada Aoun s’est lancée ces derniers mois, sous couvert d’une lutte contre la corruption, dans une chasse aux sorcières aux visées clairement politiques contre les propriétaires des principales banques du pays et le gouverneur de la Banque du Liban qu’elle accuse, eux seuls, d’être les grands responsables de la crise actuelle et de la vague de corruption dans le pays, en occultant le rôle actif sur ce plan d’une certaine classe politique, dont le camp du président de la République au pouvoir depuis six et dont elle est proche, sans compter le Hezbollah.

Dans les faits, ensuite : Ghada Aoun a participé lundi dernier, 4 avril, au Sénat français à un colloque axé sur la lutte contre la corruption. Jusque-là, pourquoi pas; et encore… Sauf que …

Omar Harfouche, riche homme d’affaires au passé plus que troublant, voire sulfureux, et, surtout, candidat aux élections législatives de mai prochain dans la circonscription du Liban-Nord II, précisait mardi soir sur sa page Facebook que Ghada Aoun était son " invitée " à Paris et que c’est lui-même qui a " coordonné " l’organisation de la rencontre. Ghada Aoun s’est d’ailleurs affichée avec lui au sénat français, comme l’illustrent les photos postées par le candidat. Et cerise sur le gâteau : Ghada Aoun pose aux côtés de son vieil " ami " sur le perchoir, place réservée au président de la haute assemblée dans l’hémicycle.

Et pour couronner le tout, le fondateur de l’ONG Sherpa, William Bourdon, était présent à la causerie aux côtés de Ghada Aoun. Or William Bourdon est l’initiateur de la plainte déposée à Paris contre Riad Salamé, dont le dossier est instruit à Beyrouth par Ghada Aoun en personne. En clair, la procureure en charge d’un dossier judiciaire délicat rencontre et s’affiche en public avec la personne qui est partie prenante dans ce dossier !

Plusieurs questions se posent à ce stade. Ghada Aoun a-t-elle obtenu l’autorisation du ministre de la Justice, Henry Khoury, de se rendre à Paris pour participer à un colloque au sénat français ? Nous avons tenté d’obtenir une réponse à cette question en entrant en contact avec le ministre de la Justice, Henry Khoury, mais en vain … Il était injoignable mardi soir et il n’a pas répondu au message écrit que nous lui avons adressé à ce sujet.

Plus grave encore : que pense le ministre de la Justice, mais aussi la hiérarchie judiciaire de Ghada Aoun, du fait qu’elle s’affiche en public, photos à l’appui, avec un candidat aux élections législatives, connu de surcroît pour être à la tête d’une fortune colossale, à l’origine douteuse comme le montre la célèbre émission Capital de la chaîne M 6 du 23 juillet 2006 ? De surcroît, est-il vrai qu’elle était son " invitée " à Paris, comme il l’affirme sur les réseaux sociaux ? Omar Harfouche est catégorique à ce sujet, précisant à ce propos que cela ne signifie nullement qu’il est " aouniste " (!), soulignant qu’il l’a invitée parce qu’il " n’a pas trouvé au Liban quelqu’un d’aussi courageux qu’elle pour combattre la corruption "…

L’avis de l’ancien président du Conseil d’État, Chucri Sader

Sur les circonstances de la participation de Ghada Aoun à ce colloque parisien, M. Chucri Sader, ancien président du Conseil d’État, a déclaré à Ici Beyrouth qu’il " n’est pas éthique qu’elle soit invitée par un politicien et qu’elle rencontre, de surcroît, la personne qui a déposé une plainte contre le gouverneur de la Banque du Liban ". " Cela n’est pas concevable, souligne Chucri Sader. Le statut de procureure lui interdit, en outre, de donner une causerie publique sur un sujet qui a en définitive une dimension politique, puisque le colloque a porté sur la corruption qui a nécessairement une portée politique dans le contexte actuel du Liban ".

Une source diplomatique française autorisée, interrogée par Ici Beyrouth, s’est refusé à tout commentaire à ce sujet.

La sénatrice Nathalie Goulet

Autre élément troublant : Omar Harfouche souligne que le colloque réunissait plusieurs personnalités " autour du sénateur Goulet ".  Or il ressort d’un document officiel du sénat français, portant sur les " invitations à des déplacements, financées par des organismes extérieurs au Sénat ", que la sénatrice Nathalie Goulet a effectué de nombreux déplacements en Ouzbékistan, en Arabie Saoudite et au Liban, aux frais de Omar Harfouche. Au Liban, Mme Goulet s’est notamment rendue à plusieurs reprises à l’invitation de Omar Harfouche dans la circonscription où le mystérieux homme d’affaires s’est porté candidat.

Une autre question se pose dans ce cadre. En s’affichant de la sorte avec Omar Harfouche, Ghada Aoun serait-elle l’une des rares personnes, en tout cas dans les milieux autorisés au Liban et en France, à ne pas connaitre le parcours troublant de Omar Harfouche ? Sur ce plan, l’enquête menée par l’équipe de l’émission Capital de M 6, de juillet 2006, est particulièrement significative. Il ressort de cette enquête que malgré tous ses efforts d’investigations, l’équipe de la chaîne française n’a pas réussi à cerner l’origine réelle de la fortune de Omar Harfouche, qualifié de " dandy libanais " et de " playboy millionnaire " mais qui se vantait dans l’émission d’assurer le voyage de charmantes mannequins en Ukraine. Une vidéo de cette émission a largement été diffusée sur les réseaux sociaux et les sites d’information libanais.

Un mystère qui pourrait peut-être susciter a minima la curiosité de Ghada Aoun. Sauf que Omar Harfouche n’est pas gouverneur de la Banque du Liban ni propriétaire d’une grande banque libanaise.

Quoi qu’il en soit, ces faits ne sont glorieux ni pour le Sénat français ni pour l’institution judiciaire au Liban.