L’invasion russe de l’Ukraine a forcé les Européens à repenser leurs stratégies de défense, en renforçant leur coopération dans ce domaine. Des projets communs en perte de vitesse retrouvent un nouveau souffle, alors que d’autres sont envisagés pour l’avenir. Le SCAF, pour Système de combat aérien futur, en constitue un aspect central.

Marqué depuis sa naissance par les rivalités politico-industrielles, ce projet mené par la France, l’Allemagne et l’Espagne s’apprête à franchir une étape, mais l’avenir de ce programme reste semé d’embûches.

Qu’est-ce que le SCAF?

Le SCAF doit remplacer à l’horizon 2040 les avions de combat Rafale français et Eurofigher allemands et espagnols. L’ampleur du projet – quelque 100 milliards d’euros évoqués – est telle qu’il doit se concevoir au niveau européen, le mener à l’échelle nationale n’étant pas envisageable.

La France assure la direction du programme, réparti en sept piliers sous la responsabilité d’un industriel national.

L’avion est ainsi sous la direction du français Dassault Aviation, le moteur du français Safran, les drones et le " cloud de combat " d’Airbus Allemagne, les capteurs de l’espagnol Indra et la furtivité d’Airbus Espagne.

S’ils ne sont pas responsables du pilier, les industriels des autres pays y disposent toutefois d’une part égale du travail.

Le septième pilier, qui doit permettre à tous les autres de s’intégrer ensemble, est assuré en co-traitance.

Où en est le projet?
Vue d’artiste du SCAF aux couleurs de la Marine Nationale.

 

Il a été lancé en 2017 par Paris et Berlin, ensuite rejoints par Madrid. Après avoir défini sur un plan technique ce que les armées attendaient du futur système et la place de chacun dans chaque pilier, les trois pays ont signé fin août 2021 un accord intergouvernemental prévoyant les financements nécessaires (3,6 milliards d’euros répartis à parts égales) aux études devant mener à un démonstrateur en vol.

Depuis, rien. Les industriels se sont accordés sur la répartition des tâches entre eux dans les différents piliers du programme, mais les discussions entre Dassault et Airbus sur le pilier 1, celui portant sur l’avion proprement dit, ont longtemps été bloquées. Et le manque d’implication des Etats dû aux élections en Allemagne puis en France n’a pas aidé.

Airbus a longtemps craint d’être considéré comme un simple sous-traitant et non comme un partenaire, quand Dassault s’inquiétait de ne plus être en mesure d’assurer la maîtrise d’oeuvre, dont il a la charge, devant les exigences d’Airbus.

Qu’est-ce qui a été annoncé vendredi?

Le ministère allemand de la Défense a informé vendredi le Bundestag de la " conclusion des négociations industrielles et de l’accord politique au plus haut niveau du gouvernement ".

Dans la foulée, Airbus et Indra ont confirmé que " les discussions entre l’industrie et les gouvernements sur la prochaine phase du SCAF ont abouti ".

Si l’Elysée a évoqué un " accord politique (qui) est un grand pas en avant ", l’accord industriel est, selon la présidence française, " sur le point d’être conclu ".

" L’accord politique qui a été trouvé sur le SCAF est une étape fondamentale. Cela ne veut pas dire que nous sommes au bout du chemin mais cela permet de confirmer que ce projet va se faire ", a abondé lundi la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, en marge d’un déplacement à Paris en compagnie de son homologue allemande.

Systèmes d’armement prévus pur être emportés par le SCAF, incluant un " effecteur de portée " et un missile de croisière.

 

Chez Dassault Aviation, qui n’a pas hésité ces derniers mois à brandir la menace d’un " plan B " en cas d’échec des négociations, on se veut plus circonspect.

" C’est pas encore tout à fait fait, avant l’heure c’est pas tout à fait l’heure ", a affirmé lundi le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier sur RTL, évoquant une " pseudo-annonce politique ".

Les contrats doivent encore être rédigés et signés, selon une source proche du dossier.

Quelles sont les prochaines étapes?

Une fois les contrats paraphés et la phase 1B lancée, les études doivent se tenir sur une période de 32 à 40 mois et aboutir à la définition du démonstrateur, sorte de pré-prototype destiné à prouver la fiabilité des technologies retenues.

Celui-ci est censé être construit à partir de 2025 et voler deux ans plus tard. Pour cette " phase 2 ", les Etats ont prévu un budget de 5 milliards d’euros.

Ce sera à nouveau l’occasion de discussions ardues entre industriels sur la répartition des tâches. Et la phase 2 ne pourra être activée qu’avec l’aval du Bundestag, qui doit valider chaque investissement supérieur à 25 millions d’euros.

Le SCAF constitue un système d’armement intégré. Aux côtés de l’avion, des drones doivent être également déployés, à l’image de cette maquette.

 

Or de nombreux députés allemands s’inquiètent toujours d’une place qu’ils jugent prédominante de la France dans le projet, et exigent que le SCAF progresse au même rythme que le projet de futur char de combat MGCS franco-allemand, lancé lui aussi en 2017 et coincé dans une ornière depuis de nombreux mois.

En effet, la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense a peiné à se concrétiser sur le projet MGCS, qui concerne le franco-allemand KNDS -regroupant l’allemand KMW et le français Nexter- et l’allemand Rheinmetall.

En annonçant fin février une enveloppe de 100 milliards d’euros pour la défense, M. Scholz avait rappelé que le SCAF et le MGCS constituaient une " priorité absolue " et ce, malgré l’achat récent d’avions américains F-35, qui serviront principalement à Berlin pour transporter les missiles nucléaires américains dans le cadre des opérations de dissuasion de l’Otan.

D’autres projets franco-allemands de défense ont connu des hoquets, voire été de facto abandonnés, dont la modernisation des hélicoptères Tigre, un missile et un système d’artillerie, au moment où l’invasion de l’Ukraine par la Russie pose avec acuité la question d’un renforcement des capacités de défense européennes.

En revanche, après un gros retard à l’allumage, le programme Eurodrone a été notifié au début de l’année à Airbus, son chef de file industriel.

Concurrent du SCAF, le programme Tempest porté par la Grande-Bretagne -l’Italie et la Suède sont également partenaires- a franchi un jalon en juillet dernier quand il a été annoncé qu’un pré-prototype volerait " dans les cinq prochaines années ".

Avec AFP