Dans les convois anti-pass, dits " convoi de la liberté ", cet alliage de citoyens mobilisés contre le pass sanitaire et se présentant comme absolument " apartisan ", la détestation du gouvernement ne suffit pas toujours à masquer les visions du monde les plus opposées.

Dans la camionnette de Cédric, qui a fait le chemin depuis la Vendée, trois camarades qui se fréquentent depuis les " gilets jaunes " vocifèrent contre les politiques " pourris " et " véreux " et assurent qu’ils n’iront pas voter.

Tous préfèrent taire leur nom de famille.

Le musicien dans des bals, âgé de 42 ans, a lâché la politique " depuis Hollande ", malgré une une " sensibilité d’extrême gauche familiale " et un intérêt pour tous les sujets touchant à " la finance mondiale ".

Son copilote, Cyril, 36 ans, lui, a bien voté " écolo " quand il avait 18 ans. Mais  ensuite, il a " rompu avec le système de la représentativité " et vit dans des communautés alternatives.

A l’arrière, Kévin, ouvrier dans une usine de poisson, est en retrait. " Au début des gilets jaunes, dire que je votais Le Pen ça aurait posé parfois des problèmes ", finit par dire celui qui affiche un brassard bleu-blanc-rouge barré du mot " résistant " en lettres dorées.

Silence dans l’habitacle. " Maintenant on a dépassé tout ça, on sait qu’on pense différemment mais on a des objectifs communs qui fait qu’on dépasse ", reprend Cédric.

Les trois hommes, qui cherchent un café à emporter faute de posséder ce qu’ils appellent un " pass nazitaire ", leur permettant de s’assoir dans un établissement, réfléchissent à ce qui leur a fait " dépasser les clivages ".

" L’idée que les vrais fascistes sont là, au gouvernement, assis sur nos libertés ", lance Cédric, petit-fils de résistant.

Ces tiraillements idéologiques avaient également marqué et souvent divisé le mouvement des " gilets jaunes " dès 2018, donnant lieux à des bagarres spectaculaires entre militants d’extrême gauche et d’extrême droite dans certains cortèges.

Le mouvement anti-pass est aujourd’hui traversé par ces mêmes lignes de fracture, comme en témoigne la multiplicité des défilés hebdomadaires dans la capitale, entre différentes mouvances qui refusent de marcher ensemble.

Emilie, 27 ans, aide-soignante en Ehpad, vaccinée " à reculons " pour s’éviter d’aller faire " l’intérim à l’usine ", dans le convoi depuis Rennes.

" Ces manifs, ça m’a ouvert les yeux sur la France, sur toutes ces colères différentes ", dit-elle, avouant " des moments où je me suis oubliée, comme le jour où je me suis retrouvée dans le cortège de Philippot avec des gens que je peux pas blairer ".

Le chef des Patriotes, Florian Philippot, organise chaque semaine un défilé anti-pass dans la capitale.

D’autres candidats à l’élection présidentielle ont apporté leur soutien à ce mouvement, dont Marine Le Pen, Eric Zemmour (extrême droite) ou encore le parti de gauche radicale La France insoumise (LFI).

Les organisateurs ont adopté en retour une attitude méfiante vis-à-vis de toute tentative de récupération électorale et martèle qu’ils sont " apolitiques, apartisans, areligieux ".

Les modérateurs de " Convoy France " veillent au grain. Sur les messageries qui servent à coordonner l’avancée des véhicules, tous les messages politisés sont filtrés, les tchats fermés s’ils ne respectent pas la règle.

Au Mans, sur le " rond-point du pic-nic ", une " rillettes party " est organisée pour les retrouvailles de deux convois. Un militant manceau pro-Zemmour est venu avec ses tracts, abordant les convoyeurs d’un engageant " vous pensez-quoi de la présidentielle ? "

– " On va pas s’entendre ", l’interrompt Phil, un retraité de la poste, drapeau breton à la main.

– " Tu veux faire tout ton programme sur le racisme et l’immigration, c’est ton problème. Nous on est pas là pour ça ", ajoute son amie Lisa, militante des " gilets jaunes ", bénévole dans l’association Utopia 56, avec laquelle elle a passé le printemps à aider les migrants à Calais.

" Jusqu’ici personne n’a montré son étiquette politique et c’est intelligent, celui qui le fera se fera jeter ", renchérit Phil, le facteur.

AFP