Villes assiégées et bombardées sans relâche, hôpitaux détruits: l’armée russe poursuit le même mode opératoire en Ukraine qu’en Syrie afin de pousser l’adversaire à capituler et les populations à fuir, estime le médecin humanitaire français Raphaël Pitti, témoin du conflit syrien depuis onze ans.

Une combinaison de deux images, celle de gauche montre une scène de guerre à Alep, celle de droite à Kiev. (AFP)
" On a vu comment les Russes ont conduit la capitulation d’Alep (en 2016). Ils l’ont fait en trois temps : encercler, ensuite bombarder la ville de manière intensive tous les jours (..) puis attendre que les gens capitulent par la faim, le froid, l’absence d’eau potable ", explique à l’AFP ce responsable de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) en France.  " Peu importent les populations. Pour les Russes, la vie n’a pas le même poids que pour nous. Ils ont un logiciel de l’ancienne URSS. C’est (celui) du KGB et donc l’individu ne compte pas, seul compte l’objectif que l’on se fixe ", affirme-t-il.  Selon lui, les Russes ont tiré les leçons de l’Afghanistan. " Si vous occupez les villes à l’intérieur, vous facilitez la guérilla ", dit-il. " Le but, c’est de faire l’inverse, c’est d’amener l’adversaire à l’intérieur des villes ".

 

Marioupol, ville portuaire stratégique sur la mer Noire, en est l’exemple le plus emblématique depuis le début de l’intervention russe en Ukraine le 24 février.  Plus de 2.000 habitants, pris au piège des bombardements, du froid et de la faim, ont déjà été tués dans la ville assiégée, selon la mairie.  Le 9 mars, un hôpital pédiatrique y a été soufflé par une bombe, rappelant la destruction de nombreux centres de soins en Syrie où l’armée russe combat les rebelles au côté du régime de Bachar al-Assad. "C’est une arme de guerre pour terroriser la population. Dès lors que les hôpitaux sont détruits, les populations fuient ", relève le Pr Pitti, anesthésiste-réanimateur et spécialiste de médecine de guerre.  " En Syrie, nous avons même mis à un moment donné des hôpitaux à l’intérieur de mines désaffectées, persuadés qu’elles étaient protégées des bombardements. C’était oublier que les Russes ont des armes antibunker qui implosent à 17 mètres de profondeur et ils les ont utilisées ", dit-il.

A Alep, comme à la Ghouta, dans la banlieue de Damas, ou à Grozny, en Tchétchénie, une fois la capitulation arrachée, les populations ont été " triées " et celles qui s’opposaient au vainqueur poussées à partir.  En Syrie, " on met alors à disposition des camions qui embarquent tous ceux qui ne veulent pas rester avec le régime ", raconte Raphaël Pitti, qui a effectué plus de 30 missions humanitaires dans ce pays depuis le début de la guerre civile en 2011.  " Ceux qui sont d’accord pour rester sous l’autorité du régime vont vers les zones contrôlées par le régime. Les autres sont autorisés à partir vers les ‘zones de désescalade de la violence’, c’est-à-dire la zone d’Idleb ", aujourd’hui dernier bastion rebelle en Syrie, poursuit-il.  Depuis le début de l’invasion russe, plus de 2,8 millions de personnes ont déjà fui l’Ukraine. " C’est exactement ce qu’ont fait Assad et Poutine, laisser sortir la population ", afin de mieux contrôler le pays, souligne-t-il.

Le Pr Pitti et le directeur de l’UOSSM France, Ziad Alissa, ont lancé mardi un appel aux candidats à la présidentielle en France, onze ans jour pour jour après le début du conflit syrien, pour qu’ils se mobilisent pour la paix et le respect du droit humanitaire international.

AFP