A peine deux jours après l’annonce de leur " réduction des activités militaires ", les Russes sont en train de repositionner leurs forces pour les préparer à une large offensive visant l’Est de l’Ukraine. À savoir, le bassin du Donbass et les deux " verrous " stratégiques que représentent les villes de Kharkiv, au nord, et celle de Marioupol, au sud, sur la mère d’Azov. Ceci explique l’acharnement de l’armée russe sur ces deux métropoles depuis le début de l’invasion. Au vu de la résistance ukrainienne inattendue, les civils sont bloqués à l’intérieur des villes où la situation humanitaire devient catastrophique. Celle de Marioupol, la ville-martyre, est particulièrement intense. Les promesses de sécurisation de couloirs d’évacuation par les Russes se multiplient sans être mises à exécution. Une nouvelle tentative aura lieu vendredi sous la supervision de l’Onu et le CICR. Elle devrait avoir lieu jeudi…

Dans les villes reprises par les Ukrainiens, comme celles d’Irpin au Nord de Kiev (voir vidéos) ou de Trostyanets au nord-est, les témoignages des survivants décrivent une situation humanitaire déplorable. Si les très anciens se rappellent brutalement l’invasion nazie de 1941, les plus jeunes, qui n’ont jamais connu la guerre, vivent un traumatisme sans précédent.

Entre-temps, les pourparlers sont de nouveau au point mort. Plusieurs responsables occidentaux ont déjà exprimé leur scepticisme concernant une réelle volonté de négociation chez les Russes. A Moscou, Vladimir Poutine, que les SR américains et britanniques soupçonnent être coupé de la réalité sur le terrain, a menacé jeudi de couper la livraison de gaz aux pays " inamicaux " s’ils ne procèdent pas au paiement en roubles. Menace réelle ou coup de bluff, on le saura vendredi. Mais, ceci revient à se tirer une balle dans le pied, car en manipulant l’arme énergétique, le maître du Kremlin se privera des revenus cruellement nécessaires pour son coûteux effort de guerre.

La stratégie russe semble donc cibler l’Est, probablement en visant une retraite " glorieuse " avec à la clé l’annexion du Donbass. Après tout c’était le seul territoire où les hostilités ne se sont pas interrompues depuis 2014. Mais, les espoirs de Moscou pourraient ne pas devenir une réalité, le Pentagone a averti jeudi d’une guerre qui s’installe dans la durée et qui prolongerait encore davantage la souffrance de la population.

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden ne s’est pas privé de critiquer son homologue russe, " c’est un gars dangereux. Il ne fait que vendre du pétrole et des armes! " s’est-il exclamé un jour. En effet, loin d’investir dans le développement de son pays, Poutine a repris la militarisation à outrance de l’époque soviétique, avec pour seule exportation du pétrole et du gaz. La Russie de Poutine survit grâce à une économie rentière comme des nations qui n’ont jamais connu une période d’industrialisation. Un sondage publié jeudi vient confirmer que le profil du président russe ressemble sous certains aspects à ceux des Saddam ou des Assad: sa cote de popularité a bondi depuis le début de la guerre, avec 83% des Russes qui approuvent sa politique. Cela nous rappelle une parabole d’un certain Nazaréen.

 

L’armée russe est en train de se regrouper en vue de nouvelles attaques en Ukraine, ont estimé Kiev et l’Otan jeudi.  Les forces russes " ne se retirent pas, mais se repositionnent " en Ukraine, a déclaré jeudi le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, jugeant que Moscou entendait renforcer son offensive sur la région du Donbass, dans l’est, tout en maintenant " la pression sur Kiev et d’autres villes ".

" Nous nous attendons à des actions offensives supplémentaires qui se traduiront par encore davantage de souffrances ", a-t-il conclu.  Ce recentrage laisse présager un conflit " prolongé ", qui pourrait durer des mois, selon un haut responsable du Pentagone.  " Si de fait ils donnent la priorité à la région du Donbass, (…) une région où ils n’ont pas combattu depuis huit ans, une région où il y a beaucoup de soldats ukrainiens (…)  cela pourrait durer un moment ", a déclaré le porte-parole du Pentagone, John Kirby.Ces propos font écho à ceux du général ukrainien Pavlo " Maestro " à Kharkiv. L’ennemi " se regroupe pour attaquer et mettre le maximum de forces " dans le sud et l’est de l’Ukraine, a-t-il déclaré jeudi à l’AFP.  Le président américain Joe Biden s’est aussi dit " sceptique " face aux annonces de Moscou d’un retrait partiel de ses troupes.

Poutine menace de couper le gaz

Le président russe Vladimir Poutine a lui annoncé interdire l’entrée sur son territoire aux dirigeants européens et à la majorité des eurodéputés, en réaction aux sanctions tous azimuts visant Moscou.   Et il a menacé les acheteurs de gaz russe de pays " inamicaux " de stopper leur approvisionnement s’ils ne se pliaient pas aux exigences du Kremlin, une mesure destinée à soutenir le rouble qui affecterait principalement l’Union européenne, très dépendante.  " Ils doivent ouvrir des comptes en roubles dans des banques russes.  Et de ces comptes ils devront payer le gaz livré, et cela, dès demain ", a-t-il déclaré.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a aussitôt répondu que les pays européens continueront de payer le gaz russe en euros et dollars comme cela est " écrit dans les contrats ".  Dans ce contexte, le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire, en déplacement à Berlin, a indiqué que la France et l’Allemagne se " préparaient " à un potentiel arrêt des importations de gaz russe.

De son côté, Roberta Metsola, la présidente maltaise du Parlement européen, a indiqué jeudi soir sur Twitter être " en route pour Kiev ", sans donner de détails. Elle serait la première dirigeante d’une institution européenne à s’y rendre depuis le début de la guerre, même si trois Premiers ministres d’Europe de l’Est y étaient allés le 15 mars.

A Marioupol, le désastre humanitaire sans fin

Après cinq semaines de guerre, 4 millions de réfugiés ont fui l’Ukraine, auxquels s’ajoutent presque 6,5 millions de déplacés à l’intérieur du pays, selon l’ONU. Quelque 90% de ceux qui ont fui l’Ukraine sont des femmes et des enfants.  L’Europe n’a pas connu de tels flots de réfugiés depuis la Deuxième Guerre mondiale. " Nous sommes confrontés aux réalités d’une crise humanitaire massive qui ne fait que croître chaque seconde ", s’alarme le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies.

Le gouvernement ukrainien s’efforce toujours d’organiser des évacuations depuis Marioupol, port stratégique du sud-est de l’Ukraine, sur la mer d’Azov, assiégé et pilonné sans relâche depuis la fin février par les forces russes et où 160.000 civils seraient toujours bloqués.  Une opération pourrait être lancée à la faveur d’un cessez-le-feu local annoncé tard mercredi par Moscou afin d’ouvrir un couloir humanitaire, mais on ignorait jeudi soir si ce cessez-le-feu, censé avoir commencé jeudi à 07H00 GMT, était effectif. A Genève, le CICR s’est dit prêt à diriger l’évacuation vendredi à condition que les garanties soient réunies.

Un soldat russe menotté à Kharkiv. (AFP)
Le gouvernement ukrainien avait de son côté annoncé dans un premier temps dépêcher 45 bus pour évacuer des civils depuis Marioupol en direction de Zaporojie, à 220 km au nord-ouest.  Mais, jeudi soir, la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk a indiqué à l’AFP que " les Russes n’ont jamais, pas une seule fois, donné leur accord à un couloir depuis Marioupol " permettant l’évacuation de civils.  Des bus sont toutefois " arrivés à Berdiansk (à environ 80 km de Marioupol, ndlr). Les occupants ne les ont pas laissés entrer en ville, a-t-elle détaillé sur Telegram.Des personnes ayant réussi à quitter Marioupol et des ONG y ont décrit des conditions catastrophiques, avec des civils terrés dans des caves, privés d’eau, de nourriture et de toute communication, et des cadavres jonchant les rues. La municipalité accuse en outre Moscou d’avoir évacué " contre leur gré " plus de 20.000 habitants de Marioupol vers la Russie.  Au cours des dernières semaines, quelque 75.000 personnes ont pu être évacuées de Marioupol, selon Iryna Verechtchouk.

Selon le ministère britannique de la Défense, " des combats intenses se poursuivent à Marioupol " mais les Ukrainiens " conservent le contrôle du centre-ville ".

Dans le nord de l’Ukraine, des tirs sur un convoi humanitaire de cinq bus près de Tcherniguiv ont fait un mort et quatre blessés, selon une responsable ukrainienne qui accuse les troupes russes de " ne pas laisser la moindre possibilité d’évacuer les civils de Tcherniguiv assiégée, en laissant des dizaines de milliers de civils sans nourriture, sans eau, sans chauffage ".

 

Retrait russe de Tchernobyl

Des responsables à Kiev ont annoncé jeudi soir que les forces russes avaient quitté la centrale nucléaire de Tchernobyl qu’elles occupaient depuis le premier jour de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février.  " Elles ont pris avec elles des membres de la Garde nationale qu’elles retenaient en otages depuis le 24 février ", a déclaré sur Telegram l’agence d’Etat ukrainienne Energoatom, citant des employés. Leur nombre n’est pas connu.  Le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est arrivé en Russie pour s’entretenir vendredi avec de hauts responsables, a tweeté l’Agence.

De leur côté, les séparatistes prorusses du Donbass ukrainien affirmaient jeudi contrôler la quasi-totalité de la région de Lougansk et plus de la moitié de celle de Donetsk, ce qui n’a pas pu être vérifié de source indépendante.

Pourparlers en ligne

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a par ailleurs annoncé jeudi matin qu’une nouvelle rencontre entre ses homologues russe Sergueï Lavrov et ukrainien Dmytro Kouleba pourrait avoir lieu " d’ici une ou deux semaines ". La Turquie pourrait accueillir cette rencontre.  Le négociateur en chef ukrainien, David Arakhamia, avait lui indiqué mercredi que des pourparlers en ligne avec la délégation russe reprendraient vendredi.

Le président ukrainien s’est adressé jeudi par vidéo aux parlements australien, néerlandais et belge, les exhortant à fournir des armes à son pays et à cesser d’acheter des hydrocarbures ou des diamants russes.

Poutine grimpe dans les sondages

En Russie, la popularité de Vladimir Poutine a fait un bond de douze points par rapport à février avec 83% de personnes interrogées approuvant son action, selon une enquête publiée jeudi par l’institut russe indépendant Levada, dont c’est le premier sondage depuis le début de l’offensive en Ukraine.

Les services de renseignements américains et britanniques avaient de leur côté décrit mercredi et jeudi un président russe " mal informé " sur le conflit, en froid avec son état-major et entouré de conseillers craignant de lui dire la vérité.

Enfonçant le clou, Joe Biden a estimé jeudi que Vladimir Poutine " semblait s’isoler ", et a dit avoir " des indications selon lesquelles (le président russe) a limogé ou placé en résidence surveillée certains de ses conseillers ", tout en disant ne pas avoir de " preuves irréfutables ".

Pour le Kremlin, les Etats-Unis ne comprennent rien au fonctionnement du pouvoir en Russie. " Ils ne comprennent pas le président Poutine, ils ne comprennent pas le mécanisme de prise de décision, ils ne comprennent pas notre travail ", a commenté le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.

 

Sanctions contre le secteur technologique russe
Washington a annoncé jeudi de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie, visant cette fois le secteur technologique, dont le plus important fabricant russe de semi-conducteurs, afin, entre autres, d’empêcher le contournement des sanctions occidentales.  
Le département américain du Trésor a indiqué qu’il ciblait " 21 entités et 13 individus dans le cadre de sa répression contre les réseaux de contournement des sanctions (imposées au) Kremlin et des entreprises technologiques, qui jouent un rôle déterminant dans la machine de guerre de la Fédération de Russie ".  " L’armée russe dépend des technologies occidentales clés pour le fonctionnement de sa base industrielle de défense ", précise le Trésor.
Une croissance de -20% en Ukraine, -10% en Russie
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) a publié des prévisions jeudi faisant état d’une contraction de 20% du PIB de l’Ukraine cette année à cause de l’invasion du pays par la Russie, qui verra de son côté son PIB plonger de 10%.Ces prévisions partent du principe qu’un arrêt des hostilités sera décidé sous quelques mois, suivi d’un effort majeur de reconstruction de l’Ukraine.  Selon ce scénario, l’économie de l’Ukraine devrait rebondir de 23% l’an prochain, tandis que le PIB de la Russie, qui devrait encore subir des sanctions, devrait tout juste se stabiliser avec une croissance nulle.

La banque avertit que ces prévisions sont à considérer au regard d’une incertitude exceptionnellement élevée, " et avec une marge de détérioration élevée si les hostilités augmentent ou si les exportations de gaz et autres matières premières depuis la Russie sont restreintes ".

 

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