Le courage et la mobilisation de la société ukrainienne lui permettront de gagner la guerre face à la Russie, affirme l’écrivain ukrainien Serguiï Jadan, convaincu qu’un pays " transformé " est en train de naître.

" Je suis impressionné par la capacité des Ukrainiens à défendre leur liberté, leur terre, leur territoire ", déclare-t-il dans un entretien à la mi-août, quelques minutes avant un récital de ses poèmes dans une salle de spectacle de Kiev. " C’est ce qui me donne de la force et de la confiance ".

Yeux bleus perçants, cheveux blonds plaqués en arrière et rasés sur le côté, l’écrivain qui vient de fêter ses 48 ans, personnalité incontournable de la culture ukrainienne, colle à son image de poète punk.
Baptisé le " barde de l’est de l’Ukraine " par le magazine américain The New Yorker, Serguiï Jadan est l’emblème d’une ville, Kharkiv, où il habite depuis qu’il y est arrivé dans les années 1990 pour étudier en provenance de son Donbass natal.

C’est dans cette région largement russophone du nord-est de l’Ukraine, épicentre des combats depuis plusieurs semaines, qu’il situe ses romans écrits en ukrainien qui parlent avec tendresse des laissés-pour-compte de l’Ukraine postsoviétique. Il n’a jamais quitté Kharkiv, même quand les troupes russes qui la bombardent encore régulièrement – 21 civils y ont été tués la semaine dernière -semblaient sur le point de s’en emparer en mars.

En avril, on l’avait croisé, récitant des vers sous un néon violet dans un bunker sous-terrain transformé en refuge, pour remonter le moral des habitants.
Mais Serguiï Jadan, poète, romancier et musicien culte, a arrêté d’écrire depuis six mois pour se consacrer à l’aide humanitaire et au soutien à l’armée ukrainienne. " Toutes ces activités, je les ai mises en pause ", explique-t-il, avant de s’exprimer au nom des Ukrainiens : " Nous sommes des citoyens mobilisés dans la défense de notre pays ".

Depuis le début de l’invasion russe, la société civile ukrainienne s’est massivement mobilisée pour venir en aide aux victimes du conflit ou collecter des fonds. " Quand je vois le nombre de gens partis se battre ou faisant du bénévolat, je me rends compte d’à quel point la société ukrainienne a du potentiel. Il y a une force énorme là-dedans ", reprend l’écrivain, persuadé que son pays " est en train de vivre des transformations très profondes ".

C’est d’ailleurs pour collecter des fonds pour l’achat de véhicules aux forces armées qu’il se produit à Kiev. Deux soirs de suite, les 670 places de la Maison du Cinéma affichent complet. Son arrivée sur scène provoque l’ovation. Pendant 1h30, il récite ses courts poèmes, composés dans les années précédant l’invasion. Mais les thèmes sont plus actuels que jamais : la ville de Marioupol aujourd’hui rasée, la vie ou l’amour pendant la guerre dans le Donbass, où des combats durent depuis huit ans…
" Jadan, c’est notre conscience (…) Ses poèmes parlent de nous-mêmes, de qui nous sommes et de ce qui nous entoure ", confie Taras Katrytchenko, un spectateur de 34 ans. Durant l’hiver 2013-2014, écrivain déjà reconnu, Serguiï Jadan avait participé activement au mouvement proeuropéen du Maïdan à Kharkiv.

Quand un mouvement armé soutenu par le Kremlin avait pris le contrôle des capitales régionales de Donetsk et Lougansk, dans l’est, Kharkiv était divisée.
Des manifestations prorusses avaient éclaté, Jadan donné de sa personne : en protégeant le bâtiment de l’administration régionale que des assaillants cherchaient à occuper, il avait été passé à tabac, son nez cassé, après avoir refusé de se mettre à genoux devant les prorusses.

Cette année, sa ville natale de Starobilsk, près de Lougansk, a été occupée dès le début de l’invasion. De quoi lui laisser peu d’illusions. " Je n’aime pas trop la phrase disant que la “culture est une arme” car elle est imprécise. Une arme est une arme, et on gagne les guerres avec des armes ", affirme l’écrivain.
" La culture, elle sera importante après la victoire, pour vivre la vie pleinement ".

Depuis une semaine, Serguiï Jadan a quitté son pays pour lever des fonds et mobiliser les Européens en soutien de son pays. " Il est primordial de ne pas oublier l’Ukraine, de parler de l’Ukraine, car nous devons gagner cette guerre ", lance-t-il. " Nous allons rappeler au monde qu’une opération militaire, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale, a lieu. Et dans cette opération, il faut avoir des positions très tranchées : soit tu soutiens l’occupant et l’agresseur, soit tu soutiens l’Ukraine ".

AFP