La voix de la défense que contient tout symptôme est parfois inaudible, tant la dimension de souffrance liée à ce symptôme est criante et vient assourdir le sujet. Dans ce cas précis, celui de l’impuissance sexuelle d’un homme d’une quarantaine d’années, l’oreille de la psychanalyse est venue se coller au murmure du discours.

Cet homme m’était adressé par sa femme, que je ne connaissais pas, mais qui, dans la crise de couple où elle se trouvait, avait demandé conseil à des amies. L’une d’elles lui avait recommandé d’"envoyer son mari en analyse". Exerçant une profession sportive, il ignorait tout de la psychanalyse et n’avait aucune idée de ce qu’elle pourrait faire pour lui. Il était venu pour faire acte de bonne volonté auprès de sa femme et tenter d’apaiser le climat avec elle.

Contre toute attente, ses premiers mots ont été pour évoquer des événements remontant à plus de dix ans: "J’ai vécu, il y a onze ans, une relation extrême avec une femme dont je me pensais fou amoureux. C’était une vraie passion physique, une osmose totale, d’autant plus addictive que l’acte sexuel était le seul moment où nous parvenions à communiquer. Elle, malgré sa jouissance visible, ne cessait de me dire que je ne la satisfaisais pas comme homme, mais sans jamais m’expliquer en quoi. C’était à chaque fois un coup violent à ma virilité et à mes sentiments. L’énigme me rendait fou. J’ai fini par devenir impuissant avec elle. Elle m’a détruit et je crains que l’impuissance ne soit devenue irréversible."

Il se produit souvent que le seul fait d’ouvrir à un sujet ce lieu de parole spécifique qu’est la relation analytique lui permet d’y saisir ce qu’il demande, et que lui-même ignorait avant de venir parler. De toute évidence, cet homme avait besoin de dire ce qu’il "avait sur le cœur", en d’autres mots: dire de quels affects et de quelles pensées était faite sa vérité subjective, celle qui s’attachait à l’épisode amoureux dont il était marqué. Cette vérité subjective s’était logée dans un symptôme, qu’il comprenait ainsi: la "relation extrême" vécue alors, inoubliable sur le plan amoureux, avait causé une catastrophe irrémédiable, lui ayant "détraqué le corps ou la tête", avec pour résultat son impuissance sexuelle, heureusement discontinue.

À cet homme manifestement à vif, qui osait livrer sa souffrance la plus intime, il était exclu de dire de but en blanc que son symptôme comportait certainement un versant de défense salutaire. Avec le plus de tact possible, je l’ai encouragé à revenir sur le récit de la relation. Ce patient s’exprimait avec aisance et sensibilité, mais parler de sa propre personne lui était difficile. Les séances ont donc pris la forme d’un dialogue constant. Je lui ai demandé: "Quelles conséquences sur la relation a eu le fait que vous vous soyez trouvé empêché de faire l’amour?" J’ai pris soin de ne pas dire "le fait que vous soyez devenu impuissant". Il a répondu que cela avait été "le début de la fin". Je l’ai interrogé encore: "Est-ce cette femme qui vous a quitté?" "Non, a-t-il répondu. Déjà fragilisé par son jeu bizarre, je me sentais tellement mal de ne plus pouvoir être son amant que j’ai été obligé de couper." Alors je lui ai dit: "Il est certain que cette impuissance vous affecte et vous angoisse terriblement. Pour autant, n’est-ce pas ce qui a fait limite à une relation ravageante dont vous ne parveniez pas à vous séparer autrement?" Il a réfléchi et répondu: "Je me souviens de quelque chose que je ne m’expliquais pas. Le jour de la rupture, je lui ai fait l’amour sauvagement."

Il a alors entendu le sens de ma formulation, qui était une interprétation: être empêché, par effet de l’inconscient, de faire l’amour à une femme n’était pas la même chose que contracter une impuissance, comme on contracte une maladie. Cet empêchement, en provenance d’un lieu vital de lui-même, avait opposé un non définitif au "jeu bizarre" de son amante, donc à sa volonté de jouissance le prenant pour objet. Le non du symptôme est venu enrayer le manège infernal auquel son amante l’accrochait et dont il ne parvenait pas à s’éjecter: "L’énigme me rendait fou". À l’instant même où il a pu lui signifier qu’il la quittait, prenant appui sur la fonction de refus du symptôme, celui-ci a été levé: "Je lui ai fait l’amour sauvagement."

Le non, passé au discours et mis en acte par l’annonce de la rupture, n’avait, à cet instant, plus besoin du symptôme pour consister. Il était clairement lisible, dès lors, que ladite "impuissance" n’était pas une anomalie morbide sur laquelle il n’avait aucune prise, mais une formation de l’inconscient venue le délivrer de la jouissance obscure de l’Autre et de la sienne ("addictive", avait-il dit). Déchiffrer d’emblée cela a constitué, pour cet homme, un immense soulagement.

L’impuissance vécue comme un désamour

Dès la deuxième séance, il a pu aborder sa problématique actuelle: son épouse se plaignait de ses moments d’impuissance, qu’elle vivait comme un désamour et une blessure liée à son image de femme. Dans ces moments délicats, il se soustrayait au dialogue avec elle, parce qu’il pensait que son impuissance était encore une onde de choc de son infidélité d’antan. Ainsi que cet homme l’avait dit, il se représentait son symptôme comme une destruction opérée par l’amante fatale, dont il ne voulait surtout pas reparler avec sa femme. Sentant son mari fuyant, celle-ci cherchait à le blesser à son tour, par une agressivité frontale qui portait atteinte à son être d’homme, et pas seulement dans le registre sexuel. Elle lui reprochait aussi son manque d’ambition professionnelle, son style post-adolescent et son inconséquence dans la vie. Dans ce contexte, les moments intimes devenaient de plus en plus tendus, et l’impuissance de plus en plus fréquente. Le couple était dans l’impasse.

Interroger ses démêlés avec l’Autre féminin

J’ai proposé à cet homme de tirer les conséquences de notre interprétation précédente du symptôme, et lui ai dit: "Chaque fois que vous ne parvenez pas à faire l’amour, peut-être faites-vous objection à quelque chose qui ne vous convient pas dans le lien avec une femme? S’agissant de votre épouse, avez-vous une idée de ce que cela pourrait être?" Faisant sienne cette question, le patient est alors véritablement entré dans le discours analytique, celui qui met en jeu le désir d’élaborer un savoir sur son être. Un cheminement a commencé, au fil duquel cet homme a interrogé ses démêlés avec l’Autre féminin. La dimension de la répétition s’y est soudain révélée: dans toutes ses relations, se produisait une forme de maltraitance visant son être d’homme. Dans cette répétition, il a reconnu être pour quelque chose, d’abord par sa manière de choisir ses partenaires, puis de mener la relation sexuelle.

Cet homme privilégiait sur toute autre considération le flamboiement de la conquête, à partir de ce qui lui fait signe chez une femme et se manifeste toujours dans un coup de foudre inaugural. Il a avoué: "Je prends ces premiers signes pour argent comptant, comme si le ciel me prédisait infailliblement, par le coup de foudre, l’osmose sexuelle qui s’ensuivra." Une double jouissance entre ensuite en jeu. Lui veut jouir de l’Autre, c’est-à-dire de la femme venant incarner la partenaire idéale dans cette osmose sensuelle qui le transporte; mais il se heurte, du même mouvement, à la volonté de jouissance de cet Autre sur lui: "jeu bizarre", "atteinte à sa virilité", dit-il.

À partir de là, nous avons pu mettre au jour le scénario, inconscient en lui, qui organisait la rencontre récurrente avec l’Autre féminin à la fois flamboyant et maltraitant; cet Autre qui se coule avec lui dans les délices de l’osmose, mais lui en fait payer le prix. Progressivement, le scénario fantasmatique s’est infléchi. Par touches successives, cet homme a inventé des jeux sexuels lui permettant de se soustraire momentanément à l’Autre (sa femme) par d’autres voies que celles de l’impuissance, des voies inédites et porteuses de plaisir.

Avant ce temps de la conscience et de l’invention, c’est son symptôme qui s’était chargé de dire non au fait d’être réduit à un objet joui par l’Autre. Mais le prix était lourd: la forme pathologique du symptôme, à savoir l’impuissance, le confrontait à l’angoisse la plus terrible qui soit, pour un homme, dans la vie sexuelle. De surcroît, cette impuissance risquait de l’acculer à la rupture du lien conjugal. Or, contrairement à sa relation passée avec "l’amante fatale", il avait dit ne surtout pas vouloir se séparer de sa femme, et se sentir très coupable de ne pas parvenir à lui faire l’amour.

Transformer le symptôme en une manière d’être

Dans le style d’échange vivant qui convient à cet homme, je lui avais expliqué que l’analyse ne visait pas à dénoncer, encore moins à "déconditionner" son symptôme (il avait tenté l’hypnose pour cela). Continuer le travail analytique lui a permis, au contraire, de prendre appui sur l’invention salutaire que contient toujours un symptôme, et de le transformer en une manière d’être, ici manière d’être dans le lien amoureux, indolore et même satisfaisante, car unique.

Le cas de ce patient illustre l’inanité des solutions par l’éradication systématique du symptôme. Dissoudre son symptôme en recourant à la chimie ou à divers protocoles psychologiques aurait consisté à priver cet homme de ce qui constituait, dans sa vie, une première invention venant supporter son lien à l’Autre féminin.

En attendant la solution analytique à laquelle cet homme a décidé d’œuvrer, cette solution par le symptôme avait rendu possible qu’il fasse des rencontres et connaisse des expériences valant, à ses yeux et malgré ses souffrances, la peine d’être vécues. Je lui ai dit, à cet égard, que le "disjoncteur" de l’impuissance sexuelle avait certainement formé le dispositif de sécurité lui ayant permis, jusqu’alors, de se risquer sans s’y perdre dans cette "osmose totale" qui le faisait se sentir "intensément vivant" (ce sont ses mots).

Ainsi, le rôle du psychanalyste n’est jamais de pourchasser le symptôme ni la jouissance qu’il contient, mais de soutenir et d’éclairer sa raison d’être. Dès lors, sa mutation vers une forme non pathologique peut s’accomplir, dans une invention de discours tissée dans l’analyse et mise en acte dans la vie, séance après séance.

Ne pas abolir ce qui est déjà là, et touche à l’être le plus profond d’un sujet, relève d’une portée éthique de la psychanalyse. Freud a d’emblée placé la tâche analytique sous l’égide première de la guérison: "On ne se fixera jamais comme but du traitement autre chose que la guérison pratique du malade, le rétablissement de sa capacité de réalisation et de jouissance[1]." Les termes sont clairs: la psychanalyse offre à l’être humain une voie d’accomplissement. Celle-ci repose sur l’efficacité irréversible d’une pratique procédant non de recettes, forcément éphémères, mais de l’amour et du savoir.

[1] Sigmund Freud, Œuvres complètes, VI, PUF, 2006.