Dans leur étude sur le thème du mensonge, les chercheurs en psychologie Masip, Sporer, Guarrido et Herrero en donnent la définition exhaustive suivante: "Le mensonge est une tentative délibérée, réussie ou non, de cacher, de fabriquer, et/ou de manipuler une information factuelle ou émotionnelle par des moyens verbaux et/ou non verbaux, dans le but de créer ou de maintenir une croyance que le locuteur considère comme fausse."

Dans le cas du mensonge intentionnel, le menteur peut, volontairement, chercher à manipuler la pensée ou le ressenti d’un sujet dans le but de le mystifier ou de l’abuser, ce qui entraîne ipso facto l’impossibilité même de tout véritable échange, de tout dialogue qu’il prétend désirer alors que son but véritable vise à camoufler des intentions malveillantes. Pour confondre le menteur, on ne peut faire abstraction de sa personnalité, ni de sa conduite passée si l’on désire comprendre les mobiles de son acte et les objectifs qu’il poursuit. Les politiciens libanais sont passés maîtres dans l’art du "vrai-faux", ce sont des menteurs résolus qui tendent vers la manipulation d’autrui et leur conduite relève de la perversion, on ne le répètera jamais assez. Les domaines dans lesquels ils sévissent sont innombrables, notamment dans les échanges commerciaux ou économiques, alimentaires, pharmaceutiques, dans la publicité, la culture ou, naturellement, en politique. Le menteur intentionnel utilise le mensonge comme son arme de prédilection afin de dénier à l’être humain son statut de sujet et le réduire à un objet soumis à son emprise.

Quant à la vérité, sa compréhension est encore plus complexe. Si, pour certains, elle leur apparaît comme unique et absolue, pour d’autres elle est multiforme et relative. Dans un film argentin réalisé par Gastón Duprat et Mariano Cohn, L’Homme d’à côté, le personnage principal, reprenant Friedrich Nietzsche, donne son opinion: "La vérité n’existe pas. Il n’y a que des interprétations. La vérité est une interprétation qui prend le pas sur les autres." Il y a donc autant de vérités que de points de vue. Pour Nietzsche, une vérité qui existerait en elle-même, une Vérité absolue est introuvable. Toute pensée, toute parole résulte de notre propre interprétation placée sous la domination de nos pulsions. À la recherche d’une vérité, il faut y substituer l’interrogation sur les valeurs immanentes à l’interprétation, puisque celle-ci découle de nos choix inconscients.

Rappelons-nous aussi Auguste Comte: "Tout est relatif, cela seul est absolu." Et cette déclaration de J. Lacan: "Je dis toujours la vérité: pas toute parce que toute la dire, on n’y arrive pas… C’est impossible matériellement… Ce sont les mots qui manquent…"

Les mots nous manquent quand nous essayons de dire un ressenti que l’on voudrait exprimer au plus près de l’éprouvé ou du pensé. Les mots s’avèrent trompeurs. Impuissants, parfois même ils deviennent des ennemis lorsqu’ils veulent s’imposer à force de ressassement. "La langue dans laquelle il me serait donné peut-être non seulement d’écrire mais de penser n’est ni le latin, ni l’anglais, ni l’espagnol ni l’italien mais une langue dont pas un mot ne m’est connu, une langue qui me parle de choses muettes", observe l’écrivain autrichien Hugo Von Hofmannsthal, auteur de Les Mots ne sont pas de ce monde. Et pourtant nous n’avons que les mots pour tenter la paradoxale aventure qu’est le fait de parler ou d’écrire. Pour paraphraser Françoise Dolto, nous pouvons dire que le rendez-vous avec soi-même, avec le langage, avec la difficile tentative d’en extraire du singulier, est fréquemment "un rendez-vous avec son propre mensonge".

La vérité est, comme nous l’avons déjà dit, souvent associée à la notion de réalité dans sa dimension concrète, que d’aucuns n’hésitent pas – les téméraires! – à qualifier d’objective. Mais cette réalité matérielle est traversée pulsionnellement, elle est perçue par l’intermédiaire de notre perception, passe par notre pensée, déclenche un ressenti, s’associe à nos expériences récentes ou plus probablement lointaines, traverse notre imagination, rejoint nos fantasmes. Or tout ce processus est éminemment subjectif et le plus souvent inconscient. Cela ne signifie pas que la réalité concrète n’existe pas mais que celle-ci, soumise à des forces qui la dépassent, est obligatoirement déformée. À la réalité matérielle, extérieure, se mêlera toujours une réalité de nature psychique souvent surprenante. Gabriel Garcia Marquez ne l’envisage pas autrement lorsqu’il écrit: "La vie ce n’est pas ce qu’on a vécu mais ce dont on s’en souvient et comment on s’en souvient." L’imagination, cette "folle du logis", embellit la réalité concrète d’une existence si décevante parfois que, comme le dit Rimbaud, "Je" devient un autre, même s’il faut, pour cela, se mentir à soi-même. Avec son vécu d’un manque fondamental, l’être humain peut trouver refuge dans la construction d’une réalité propice à créer l’illusion d’une existence conforme à ses désirs, portant le risque de le faire basculer de l’autre côté du miroir.

Si je suis donc constamment sous l’influence de mon imaginaire inconscient dans quelle mesure ma parole consciente peut-elle être considérée comme "vraie"?

"C’est lorsqu’on croit savoir que l’on est sûr de se tromper", nous avertit Freud.

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