Anne Hidalgo, maire de Paris, annonçait en 2019 la "pietonnisation" et la végétalisation de 54 hectares autour de la tour Eiffel. Montréal annonce vouloir planter 180 000 arbres jusqu’en 2025. New York mise sur 950 000 arbustes jusqu’en 2030. À Milan, l’équivalent de deux hectares de forêt poussent en pépinière, en pleine ville. Au vu de ces chiffres, le gris n’a plus le monopole des grandes villes, ceci est certain. Petit à petit, le vert regagne des parcelles, dans les jardins publics mais aussi au pied des immeubles, sur les ronds-points et dans les rues, il pousse au pied des arbres bordant boulevards et autres allées bétonnées. Mis en place dans beaucoup de villes de France, le "permis de végétaliser" qui a séduit nombre d’habitants offre la possibilité de semer, faire courir des plantes grimpantes ou se laisser aller à des installations végétales dans les jardinières de la ville. Certes, le phénomène s’est accentué depuis le premier confinement au point que certains en ont fait leur nouveau métier: c’est le phénomène des jardiniers urbains. Apporter le savoir-faire du monde agricole au cœur des villes pour répondre aux enjeux environnementaux du XXIe siècle, telle est la tâche de ces nouveaux professionnels des cités. Des collectifs se créent, rassemblant agriculteurs, paysagistes, designers et jardiniers urbains qui, entre toits végétalisés et potagers urbains, travaillent à optimiser les surfaces petites et limitées pour rendre la ville plus verte. Ils aident les communautés à végétaliser leur quartier, un toit ou une rue, recréent des îlots de fraîcheur, des parties de campagnes dans la ville, sensibilisent les publics à la végétalisation ou encore valorisent les produits de l’agriculture urbaine. Le phénomène est tel qu’il est désormais une réalité de la vie contemporaine. À ce titre, il a été mis à l’honneur dans plusieurs institutions muséales comme le Grand Palais, Pompidou-Metz, ou Beaubourg. Il constitue également une réalité dans les offres de formations de plus en plus nombreuses et variées. En France, l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, qui reste une référence, a développé, en marge de ses programmes officiels, une formation continue autour du jardinage destinée aux professionnels comme aux amateurs. L’objectif est de répondre à la recrudescence de l’intérêt à cultiver. Le succès de ces pratiques est évident et ses raisons sont multiples. De quoi le jardin est-il donc le nom?

La création de jardins est l’un des arts majeurs, comme on le sait depuis toujours en Chine et au Japon. À la fin du XVIIIe siècle, en France, s’amorce un grand mouvement de développement des jardins qui connaît son apogée au cours du XIXe siècle. Comment l’expliquer? Au XVIIIe siècle, les plaisirs de la vie et la jouissance éprouvée devant la nature acquièrent une dimension philosophique. Le jardin fonctionne comme un microcosme, une utopie au sens où l’entendait précisément le XVIIIe siècle. Le Candide de Voltaire par exemple quittera l’Eldorado, le pays d’abondance où l’argent est sans valeur, pour aller cultiver son jardin. Au cœur de la réflexion sur l’utopie se tient donc la question du bonheur, et c’est dans le jardin, pensé comme une société heureuse où l’individu vit en harmonie avec la nature, qu’elle est amenée à se réaliser.

Cette pensée du jardin connaît une forte désaffection après la Seconde Guerre mondiale où il est davantage vécu comme un espace résiduel entre les immeubles et les réseaux de voirie ou un simple terrain de jeu. Depuis vingt ou trente ans, toutefois, loin de se limiter aux parcs publics, les espaces verts embrassent d’autres formes et d’autres échelles. À l’image de la High Line new-yorkaise, la désindustrialisation des grands centres urbains s’accompagne de la création d’une pratique de la déambulation dans ces espaces désormais recyclés. Un renouveau de l’engouement pour les jardins se manifeste à la faveur d’une génération de créateurs paysagistes ayant émergé après 1945, tels René Pechère, Russell Page, Roberto Burle-Marx, Louis Benech, Piet Oudolf, Fernando Caruncho, Gilles Clément, Patrick Blanc…. Et d’une conscience environnementale qui ne fait que s’accroître. Aujourd’hui, sur fond de crise climatique, le jardin, et l’imaginaire qui lui est lié, s’impose à nouveau comme un symbole puissant des changements à l’œuvre dans nos sociétés. Les raisons de son succès tiennent aussi au fait qu’il répond à une véritable demande de la part des citadins. Environ 800 millions de personnes, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, font aujourd’hui de l’agriculture urbaine dans le monde, incluant tout type de culture. Ensuite, il y a le désir d’innover, notamment de la part des pouvoirs publics. Il faut croire enfin que ce type d’exploitation permet de répondre aux enjeux actuels, écologiques et sociaux, en particulier.

Car il y est question de sensibiliser aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur les écosystèmes et à l’avenir de la biosphère. Mais il s’agit aussi, en définitive, de créer du lien social. Au cœur de cet engouement réside, bien sûr, le bonheur et le besoin de jardiner, mais aussi le fait de rencontrer des gens d’horizons différents et faire des choses avec des gens que l’on ne rencontrerait pas autrement, comme en témoigne l’engouement récent autour des jardins partagés. "Cette pratique trouve un antécédent dans les jardins ouvriers et les jardins familiaux lancés à la fin du XIXe siècle et qui ont eu une très grande importance tout au long du XXe", explique l’historien des jardins et du paysage, et professeur à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles Hervé Brunon, rappelant que ces jardins collectifs "ont été réinventés à New York à partir des années 70 avec l’idée d’une réappropriation d’espaces vacants dans la ville" (Le Jardin, notre double. Sagesse et déraison, éditions Autrement, 1999).  Ces lieux dans lesquels s’organisent des activités diverses et des ateliers pédagogiques sont également de véritables outils d’inclusion sociale. Les jardiniers y viennent de tous milieux culturels, de toutes générations. On y partage son savoir-faire et son savoir-être. Là où il y a des jardins, il y a une vraie vie de quartier.

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