Le réalisateur Michel Deville, qui a dirigé les actrices iconiques du XXe siècle et qui était friand de la compagnie des femmes, est décédé à l’âge de 91 ans. À son palmarès, des comédies légères et des histoires noires et étranges.

Auteur d’une trentaine de longs-métrages, il a reçu deux Césars – les Oscars français – pour Le Dossier 51 (1979, meilleur scénario) et pour Péril en la demeure (1986, meilleur réalisateur). Il a également obtenu deux fois le prix Louis-Delluc (considéré comme le Goncourt du cinéma) pour Benjamin ou les mémoires d’un puceau (1967) et La Lectrice (1988).

"Tous mes films, les comédies comme d’autres, plus sérieux, voire graves, ont été pour moi des jeux, avec des règles", disait cet homme au visage osseux et au regard bleu acier qui aimait par-dessus tout traiter des êtres humains face à leurs instincts. S’il a fait jouer, entre autres, des acteurs de la trempe de Michel Piccoli, Jacques Dutronc ou Jean-Louis Trintignant, il prétendait ne pas aimer "la compagnie des hommes".

En revanche, il dirigea des actrices comme Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, Romy Schneider, Jeanne Moreau, Françoise Fabian, Fanny Ardant, Mathilda May, Marina Vlady, Marlène Jobert ou Miou-Miou. Michel Deville, qui prétendait être solitaire et asocial, était un cinéaste minutieux, doué pour mettre en image "un instant, une phrase, un beau paysage, un beau visage". "Il ne me suffit pas de les voir, j’ai besoin de les retenir. Je les consigne dans mes carnets", expliquait-il.

Pour lui, l’écriture, sous toutes ses formes, était primordiale. La plupart de ses films étaient tirés d’œuvres littéraires qu’il adaptait. Ainsi, il filmera La Lectrice, adapté du roman de Raymond Jean ou encore Le Dossier 51 d’après le livre de Gilles Perrault. Il pratiquait également la poésie, son "délassement", publiant plusieurs recueils, fantaisistes et irrévérents, proches de l’esprit d’un Prévert ou d’un Queneau: "Dans l’aube hallucinée/ D’un jardin vague et mal fané/ Se lamentait un jardinier (…)/ Les pieds enfouis dans le terreau en place et lieu de deux poireaux (…)/ Navrant ratage, atrocité/ Le jardinier s’était planté."

Michel Deville naît le 13 avril 1931 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ses parents ont des amis voisins dont l’appartement donne sur le toit d’un cinéma. Grâce à une passerelle, le garçonnet se rend souvent à la cabine de projection. Ainsi, commence une vocation…

Il passe une dizaine d’années à apprendre le métier auprès notamment de son mentor, Henri Decoin. Puis, il tourne son premier film Ce soir ou jamais, une comédie dramatique. Il sera suivi de comédies, comme Adorable menteuse (1962) ou À cause, à cause d’une femme. Il connaît le succès avec Benjamin…, interprété par Michèle Morgan, Michel Piccoli et Pierre Clémenti. En 1970, il dirige Brigitte Bardot dans la comédie L’Ours et la poupée.

Après Raphaël ou le Débauché (1971), Michel Deville s’ouvre à des sujets plus graves, entre intrigues policières et huis clos intimistes, sensuels, sur fond parfois de manipulations et de relations troubles entre hommes et femmes. C’est cette même année (1971) que cesse sa collaboration avec Nina Companeez, à la fois scénariste, dialoguiste et monteuse de la plupart de ses films, qui décide de devenir elle-même réalisatrice. "Nous vieillissions ensemble, c’était bien, mais nous étions toujours dans le même sillon, notre numéro était trop bien rodé", a-t-il alors dit.

À partir des années 80, c’est son épouse Rosalinde qui écrit et produit ses films: "Elle écrit ce que je rêve de voir au cinéma", disait cet artiste inclassable qui n’eut pas d’enfant. Il réalisa ensuite des films comme Péril en la demeure (1985), Le Paltoquet (1986) ou La Maladie de Sachs, adapté de Martin Winckler. Il avait adapté Feydeau pour son dernier film Un fil à la patte en 2005, avec Emmanuelle Béart et Charles Berling. Sacré meilleur réalisateur aux César 1986 pour Péril en la demeure, le cinéaste Michel Deville a fait une trentaine de longs métrages, en filmant les plus grands acteurs français.

Zoom sur ses cinq films cultes

Benjamin ou les Mémoires d’un puceau (1967)

Ce premier grand succès de Michel Deville nous plonge en plein XVIIIe siècle. À la fois la comédie d’un innocent – l’ingénu Benjamin à la jolie figure qu’une cohorte de belles dames cherche à déniaiser – qui perd son innocence et la tragédie d’un cynique  – le noble libertin – qui perd son cynisme, ce conte cruel et pétillant en costumes réunit à l’écran Michèle Morgan, Michel Piccoli et Catherine Deneuve. Le film a remporté le prix Louis-Delluc.

L’Ours et la poupée (1970)

L’un des derniers films de Brigitte Bardot. Elle y incarne une Parisienne snob et capricieuse en instance de divorce qui roule en Rolls Royce et se heurte, au sens propre du terme, à un violoncelliste myope et bougon au volant d’une 2 CV (Jean-Pierre Cassel). Une comédie légère et pleine de vitalité avec deux personnages que tout oppose et où Cassel, en ours mal léché, tente de résister aux ruses enjôleuses de "BB". "L’Ours et La Poupée est un peu le Et Dieu créa la femme des années 1970. J’ai été recréée par Deville", dira Brigitte Bardot.

Péril en la demeure (1985)

Adapté du roman noir de René Belleto Sur la terre comme au ciel, le film qui tourne autour du thème de la perversité et du voyeurisme fait beaucoup parler, à sa sortie, avec son affiche érotique. Beaucoup est déjà dit dans le titre: à pénétrer dans cette maison, on encourt tous les dangers. Dans ce thriller psychologique, les six personnages sont tous plus pervers les uns que les autres. Qui piège qui? Qui manipule qui? C’est l’irruption dans une famille aisée d’un jeune et séduisant professeur de guitare (Christophe Malavoy) venu donner des cours à une jeune fille et engageant vite une liaison avec sa mère (Nicole Garcia). "Un metteur en scène est un manipulateur. Je choisis mes acteurs avec un amour sans borne. Il est relativement facile de réussir un couple au cinéma. Il est beaucoup plus aléatoire de choisir un sextuor", expliquait à la sortie du film Michel Deville, qui obtient le César du meilleur réalisateur.

La Lectrice (1988)

Passionnée des livres et s’identifiant à une lectrice, Constance (Miou Miou) décide d’en faire elle aussi son métier et passe des petites annonces. Chaque fois qu’elle pousse une porte, une nouvelle aventure commence avec chacun de ses clients: un jeune adolescent paralysé, une fillette espiègle, une vieille générale marxiste et excentrique (Maria Casarès), un PDG gauche et entreprenant ou encore un magistrat à la retraite qui se fait lire du Sade. Loin d’être ennuyeux, le film déborde de fantaisie au rythme de sonates de Beethoven et entraîne le spectateur dans une succession de petites scènes tantôt drôles ou graves, teintées d’érotisme. "J’avais envie de faire un film sur l’érotisme, un érotisme quotidien, naturel, pas pervers", explique Michel Deville, qui écrit alors, pour la première fois, un rôle spécialement pour une actrice. Le film a remporté le prix Louis-Delluc.

La Maladie de Sachs (1999)

Le film raconte le quotidien du docteur Sachs (Albert Dupontel), un médecin généraliste célibataire installé en province et qui délaisse sa vie privée pour se consacrer totalement à ses patients. Jusqu’à l’arrivée dans son cabinet de Pauline… Adapté du best-seller éponyme de Martin Winckler, lui-même médecin, c’est une chronique sociale des petits bobos et des grandes souffrances dans un petit coin de ruralité du centre de la France. "Une véritable comédie humaine", selon Michel Deville.

Avec AFP