Que peut la littérature? Qu’a-t-elle encore à nous dire? Sur nous-mêmes, sur l’histoire? C’est à ces questions qu’on se pose à propos du rôle et du statut de la littérature aujourd’hui, que propose de répondre l’historien François Dosse dans cet ouvrage publié depuis peu aux éditions du Cerf, Les Vérités du roman (Paris, cerf 2023).  

Bien entendu, ces interrogations sont à mettre en perspective avec un propos assez dominant sur la désaffection à l’égard du littéraire, perçu désormais comme poussiéreux, en décalage par rapport aux défis de la vie contemporaine, et par conséquent inapte à fournir des outils pour comprendre le monde.

À titre de rappel, pour qui aurait manqué le mémorable débat: à la fin des années 2000, Nicolas Sarkozy demandait pourquoi le contribuable devrait-il financer des études de lettres, en quoi cela était-il utile, laissant entendre que cette vieillerie que l’on est convenu d’appeler " littérature " ne sert pas à grand-chose. Et en plus, elle est élitiste.

Dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset et Fasquelle, Paris, 2005), pour justifier l’inutilité de la forme littéraire (qui, de fait, lui permet d’être un art à part entière), Charles Dantzig commence par affirmer qu’elle est " une forme d’écrit non utilitaire (…) Dans ce sens, elle n’a aucune utilité sociale, politique, institutionnelle, morale ".

De fait, " les publications sur la fin de la littérature se sont multipliées, accompagnant un discours similaire sur la fin de l’histoire " fait remarquer François Dosse. Cet avis de décès s’inscrit dans une rhétorique que le début du XXIe siècle aime à ressasser, et qui débouche vers une esthétique réelle du " tombeau ". On a ainsi, et de même, beaucoup parlé de " la fin de l’histoire de l’art " ou de la fin du cinéma. La fin, en tout cas, d’une certaine idée de la culture européenne qui, en ce début du XXIe siècle et à son corps défendant, se rendait à une forme d’évidence.

Derrière ces " vérités " que l’auteur nous invite à découvrir, se profilent des interrogations qui, de fait même, s’invitent dans la réflexion: la littérature se porte-t-elle bien? Comment peut-on le savoir? Et qu’est-que cela veut dire? Difficile de répondre sans en formuler d’autres qui, il faut bien le dire, donnent à considérer que la question littéraire ne peut plus être approchée sans une dose de bonne volonté. Il faut être bon public. La première qui nous vient à l’esprit: les gens lisent-ils?, question dépassée il faut le reconnaitre, tant le public lecteur, aussi bien que les supports de lecture sont polymorphes. Force est de constater que la réponse ne saurait être que complexe.

Comment savoir alors si la littérature se porte bien? Comment cela peut-il être quantifiable? En nombre d’ouvrages publiés? Certes, l’édition se porte bien, en dépit du nombre de maisons qui ont déposé la clé sous la porte. Il y a effectivement, à chaque rentrée littéraire, beaucoup d’ouvrages publiés, au point que vous ne serez pas étonnés de voir la tête de votre voisine ou voisin de palier à la une, dans la vitrine du libraire de votre quartier. La pratique d’écriture s’est démocratisée. Tout le monde écrit. Tout le monde a quelque chose à dire. Et au fond pourquoi pas? Le résultat est qu’on publie beaucoup plus qu’avant. Et sur des supports qui, eux aussi, se démocratisent tout en se diversifiant. Le prestige des grandes maisons d’éditions est en voie de devenir une affaire de dinosaures.

Et si c’était plutôt une question de qualité? La littérature se porte-t-elle bien? À la poser, on bute sur l’idée qu’on se fait aujourd’hui d’une œuvre de qualité. Qu’est-ce donc une œuvre de qualité? Et, tant qu’à faire, qu’est-ce que la littérature? Et de quelle littérature parlons-nous? Celle dont parle François Dosse, en tout cas, encourt le reproche facile d’être trop intellectuelle. C’est-à-dire peu lisible. Donc loin de la réalité.

La littérature française contemporaine, nous dit pourtant Dosse, allant à contre-courant de cette élégie collective du roman français, continue de faire état de la richesse de son inspiration et de son lien avec la société pour en dire malaises et souffrances. La littérature s’empare du réel, événements et histoire qui, en retour, façonnent son récit. C’est donc une cartographie du roman français contemporain qui nous est proposée, un voyage en pays littéraire au fil duquel le roman est donné à comprendre comme un outil qui aide à mieux penser le monde.

De Jorge Semprun, Julien Gracq, Patrick Modiano, Georges Perec ou Jean Echenoz à Eric Chevillard, Patrick Deville, Pascal Quignard, Gérard Macé, Pierre Bergounioux ou Pierre Michon, cette vaste enquête de ce qu’est aujourd’hui le roman français, ses thématiques, ses auteurs nous parlent de récit de filiation, de trauma, de ruines, de récits de guerres, de génocides, de tragédies, de récits de survivants, de l’histoire, de sa transcription, et de la mémoire, ou de l’écriture du témoignage, tout ce qui bouscule le paysage éditorial qui s’était fondé sur une ligne de partage entre fiction et non-fiction " et fait de la production romanesque, un prolongement du travail des historiens mais aussi une matière qui constitue une archive du temps présent et des crises qui le traversent. Il y est donc également question des villes, du monde du travail, des conflits sociaux, des pollutions, du nucléaire, de catastrophes, du rapport au vivant, et d’auteurs: Houellebecq, Olivier Rolin, Maylis de Kerangal, François Bon, Olivia Rosenthal, Annie Ernaux, Marie Darrieussecq et autres. C’est à tout cela que s’efforce de répondre ce livre qui appelle à une rénovation des études littéraires qui deviendraient le centre des débats les plus brûlants de notre actualité.

Nayla Tamraz

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