Ébranlée par la pandémie comme en 2020, l’industrie cinématographique n’a toutefois pas manqué de réserver de bonnes surprises en 2021, avec le retour de réalisateurs de grand talent – Pedro Almodovar, Paolo Sorrentino, Ridley Scott, Joel Coen, Paul Thomas Anderson, Jane Campion, Clint Eastwood, Steven Spielberg, Denis Villeneuve, Guillermo del Toro ou Wes Anderson, à titre d’exemples – et de belles révélations. Le grand spectacle était de retour en force pour conjurer la Covid-19, avec la sortie en salles, notamment, du dernier opus de Spiderman, la résurrection de Matrix et la dernière apparition de Daniel Craig sous les traits de James Bond. Mais le cinéma d’auteur a également été à l’honneur, avec plusieurs petites gemmes bien cachées et qu’il est toujours bon de découvrir. C’est avec beaucoup d’humilité que l’auteur de ces lignes – qui confesse avoir été, une fois de plus, tenté de fuir la sinistrose de 2021 et la médiocrité d’une certaine standardisation du 7e art, en visionnant plus d’un millier de vieux classiques, dont un grand nombre de films japonais des années 1950-1970 et de muets français, russes, allemands, danois ou américains produits entre 1910 et 1933 – vous livre donc une petite sélection du meilleur cru de 2021 pour petits et grands :

Cruella de Craig Gillespie avec Emma Stone, Emma Thompson, Mark Strong

Disney se révolte contre les standards et se surpasse dans cette fable de contre-culture qui sert à la fois de réponse mimétique et de prélude au classique de la maison, One Hundred and One Dalmatians (Les 101 Dalmatiens) de 1961. Il ne s’agit toutefois pas d’un film d’animation, et, surtout, Disney a visé (juste) un public de jeunes adolescents plutôt que d’enfants. Tout y est parfait: les actrices et acteurs, emmenés par une Emma Stone survoltée et une Emma Thompson parfaite, l’editing, les décors, les costumes, et surtout une bande son extraordinaire. Qui aurait pu un jour penser qu’il écouterait Black Sabbath, The Doors, The Rolling Stones, Deep Purple, The Zombies, Bowie, The Animals, Blondie ou The Clash sur des images du monde de Disney! Le film assume jusqu’au bout son côté mi-punk mi-glam, mi-déjanté, mi-hip, et le résultat est proprement jouissif, assez évocateur de ce mélange paradoxal de féerie et de sordide, propre habituellement à l’univers du Tim Burton de la grande époque. Emma Stone, qui campe une Cruella dont les liens de parenté avec l’héroïne géniale et délurée de DC Comics, Harley Quinn, sont certainement établis, vaut à elle seule le détour. Pour voir Disney borderline.

Nightmare Alley de Guillermo del Toro avec Bradley Cooper, Cate Blanchett, Rooney Mara, Willem Dafoe, Richard Jenkins, David Strathairn, Toni Colette, Mary Steenburgen, Ron Perlman

L’univers chthonien n’a aucun secret pour Guillermo del Toro, capable de faire passer le monde parfaitement asphyxiant d’un David Fincher, par exemple, pour un roman-photo sorti tout droit de la revue OK – qui s’en souvient encore ? S’il y avait quand même encore un peu de place pour la magie et l’authenticité dans l’amour hors-normes entre Sally Hawkins et son hominidé marin de The Shape of Water (2017), il n’y a en revanche pas beaucoup de luminosité ou de possibilité de rédemption dans Nightmare Alley. L’oeuvre est une sorte de croisement entre Freaks (1932) de Tod Browning (mais aussi plusieurs autres films muets antérieurs avec l’acteur-fétiche de Browning, l’extraordinaire Lon Chaney) ,The Elephant Man (1982) de David Lynch, La Cité des enfants perdus de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet (1995) ou encore la bande-dessinée The Killing Joke d’Alan Moore, dans l’univers de Batman. L’influence du film noir est une fois de plus prépondérante chez Del Toro qui revisite d’ailleurs un chef-d’oeuvre éponyme du genre de 1947, (Nightmare Alley d’Edward Goulding) avec un Tyrone Power magistral et inoubliable, mais sans jamais en égaler la force et la majesté. Le casting, de rêve, est simplement impeccable – mention spéciale pour Cate Blanchett – et se combine à une cinématographie, des couleurs et une esthétique rare. Bienvenue dans les merveilles de la tératologie humaine.

The French Dispatch de Wes Anderson, avec Benicio del Toro, Adrien Brody, Tilda Swinton, Léa Seydoux, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Bill Murray, Owen Wilson


Un autre casting de rêve de la part d’un autre réalisateur exceptionnel – même s’il ne fait sans doute pas l’unanimité. Il convient de savoir que l’auteur de ces lignes est un inconditionnel du cinéma de Wes Anderson en raison de ses capacités de conteur hors-pair et de prestidigitateur de l’image. Peu de réalisateurs de ces trois dernières décennies peuvent s’enorgueillir d’avoir créé un style et un univers aussi particuliers, dans l’intelligence, la finesse, le bon goût et l’innovation. Une fois de plus, aucune fausse-note chez Anderson, qui raconte cette fois des histoires comme on lirait un magazine, avec ce genre de narratif unique, dynamique, léger, virevoltant et enchanteur qui est le sien, et qui transfigure littéralement ses acteurs. Un bon bol de bonne humeur incontournable et tout à fait le bienvenu dans le marasme de 2021.

Spider-Man: No Way Home de Jon Watts avec Tom Holland, Zendaya, Benedict Cumberbatch, Willem Dafoe


On a frôlé l’overdose d’adaptations de l’univers Marvel en 2021, comme si les gens se trouvaient vraiment plus que jamais dans le besoin de superhéros pour survivre au désenchantement actuel du monde. Souvent, il convient de le reconnaître, avec d’excellents résultats. Les mini-séries WandaVision et Loki ont ainsi apporté un vent d’originalité, en badinant jusqu’au bout avec le concept du “multiverse”, des univers alternatifs, qui ouvre désormais la voie à une infinie de possibilités dans la réécriture des scénarios. L’histoire des mutants peut désormais muter en permanence et apporter avec elle une infinité de nouvelles probabilités et pistes à explorer. Le film d’animation Spider-Man: Into the Spider-Verse (2018) avait déjà amorcé la piste du “multiverse” chez Marvel, mais il est clair que le spleen pandémique et le confinement ont accéléré la volonté d’évasion… y compris vers des cadres spatio-temporels, des histoires et des vécus parallèles! Spider-Man: No Way Home, nouveau volet des aventures du super-héros masqué, exploite brillamment ce filon en faisant preuve d’une inventivité permanente, et en réussissant à créer des moments iconiques de rêve… ce qui reste la fonction première du cinéma, si bien que, quel que soit votre âge, et si vous aimez l’univers de Spiderman, vous regarderez ce nouvel opus avec le regard, la joie et l’enthousiasme d’un gamin.

Dune: Part 1 de Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Zendaya, Oscar Isaac, Jason Momoa, Javier Bardem, Josh Brolin, Stellan Skarsgård, Charlotte Rampling


Sans doute le film de l’année, pour une multitude de raisons. D’abord, le fait que le roman original de Frank Herbert est réputé inadaptable. Ensuite, que même de très grands réalisateurs, comme l’inclassable Alejandro Jodorowsky et l’énorme David Lynch, s’étaient triturés les méninges pour tenter de donner vie à l’écran à l’univers singulier du livre. Enfin, parce que Denis Villeneuve s’impose progressivement comme l’un des plus grands réalisateurs de sa génération, après avoir réussi, en une décennie, le tour de force de faire des films aussi différents, beaux, riches et complexes qu’Incendies (2010), Prisoners (2013), Arrival (2016) et Blade Runner 2049 (2017). Dune: Part 1 est juste un film parfait, une saga qui prend le temps de camper ses personnages à l’heure où le pouvoir des effets spéciaux a désormais le plus souvent la primauté sur la texture et la valeur du récit, où l’on éblouit les esprits à coups d’overdose de la rétine sans plus trop se soucier de stimuler l’intellect du grand public. Le parfait équilibre entre l’épopée sci-fi intelligente et le produit de divertissement capable de séduire les masses. Et c’est d’abord ça, le cinéma.

NDLR – Quelques films qui n’ont pas encore été visionnés et qui pourraient rejoindre ce classement plus tard: Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson ; tick tick… BOOM! de Lin Manuel Miranda ; Judas and the Black Messiah de Shaka King ; The Tragedy of Macbeth de Joël Coen ; C’mon C’mon de Mike Mills ; Madres paralelas de Pedro Almodovar ; Coda de Sian Heder ; Verdens verste menneske de Joachim Trier ; È stata la mano di Dio de Paolo Sorrentino ; The Lady of Heaven de Eli King ; The Last Duel de Ridley Scott ; et Belfast de Kenneth Branagh.

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