Face à l’émergence d’une ère dominée par l’intelligence artificielle, notre société est confrontée à un bouleversement sans précédent, où la population active pourrait se diviser entre les " dieux " maîtrisant l’IA et les " inutiles " dont les emplois seront rendus obsolètes. Cet article explore les répercussions de cette révolution technologique sur le monde du travail, le rôle de l’homme dans la société et les moyens d’éviter la marginalisation d’une majorité désormais menacée d’inutilité.

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La vision prophétique de Yuval Noah Harari

Dans Homo Deus, Yuval Noah Harari esquisse un futur où l’intelligence artificielle (IA) provoque la scission de la population active en deux castes : les " dieux " maîtrisant l’IA et les " inutiles " sans emploi à cause de l’automatisation. Cette vision met en lumière les conséquences potentiellement dévastatrices de l’IA sur la société si elle n’est pas gérée et exploitée de manière responsable. Les défis soulevés par cette vision prophétique concernent notamment les fondements de la société, l’équité et la justice sociale, ainsi que les responsabilités des décideurs politiques et des dirigeants d’entreprise. Harari suggère que l’IA pourrait bouleverser les valeurs et les priorités humaines, exigeant un examen sérieux des implications éthiques, morales et sociétales de cette technologie. Le philosophe nous enseigne que pour relever ces défis, il est crucial d’investir dans l’éducation et la formation afin de préparer les individus aux compétences nécessaires dans l’ère de l’IA. Les programmes d’enseignement devraient être adaptés pour inclure la programmation, l’analyse de données et la pensée critique. Les gouvernements et les entreprises doivent également collaborer pour créer des opportunités d’emploi et de formation continue pour les travailleurs dont les professions sont menacées par l’automatisation.

Par ailleurs, une approche réglementaire équilibrée est nécessaire pour promouvoir l’innovation tout en protégeant les droits et les intérêts des travailleurs. Cela pourrait inclure l’établissement de normes éthiques pour le développement et l’utilisation de l’IA, ainsi que des mécanismes pour surveiller et réguler son impact sur la société. La vision d’Harari dans Homo Deus peut servir de catalyseur pour un débat constructif et une action concertée visant à façonner un avenir où l’IA est utilisée pour le bénéfice de l’ensemble de la société, plutôt que pour accroître les divisions et les inégalités. En adoptant des stratégies proactives pour aborder les défis posés par l’IA, nous pouvons espérer construire un avenir plus équilibré et inclusif pour tous.

L’Homme sans travail n’existe plus

Trois philosophes majeurs mettent en exergue l’importance du travail pour l’être humain, et la manière dont l’IA pourrait remettre en cause ce principe fondamental. Aristote considérait le travail comme une composante essentielle à l’épanouissement personnel, permettant à l’individu de réaliser son potentiel et de contribuer au bien commun. Devant l’IA, cette vision nous amène à repenser les moyens d’épanouissement et la contribution de chacun à la société. Karl Marx percevait le travail comme l’outil par lequel l’homme se forgeait une identité et s’accomplissait en tant qu’individu et membre d’une collectivité. L’IA, en substituant certaines professions, pourrait engendrer une crise d’identité et une perte de repères pour les travailleurs affectés. Il est donc nécessaire d’envisager de nouvelles formes d’engagement et d’identité professionnelle, compatibles avec un monde où l’IA détient une place centrale. Hannah Arendt soutenait que le travail contribuait au sens de la vie et à la cohésion sociale, en permettant aux individus de tisser des liens entre eux par le biais d’activités productives et créatives. L’expansion de l’IA et la possible disparition de certaines professions, telles que les chauffeurs de taxi, les comptables, les ouvriers d’usine, les secrétaires, les analystes et les juristes, posent la question de la préservation du lien social et de l’établissement d’un sentiment d’appartenance dans un contexte de mutation du travail.

La revanche de la culture générale et des opératifs

Dans le contexte de la transformation du travail par l’intelligence artificielle, deux groupes distincts pourraient échapper à la catégorie des " inutiles " en développant des compétences spécifiques et en se positionnant dans des secteurs résistants à l’automatisation.

Le premier groupe, les " dieux ", serait composé d’individus capables de maîtriser l’IA et de tirer parti des opportunités offertes par cette technologie. Ils pourraient s’appuyer sur leur culture générale, leur esprit de synthèse et leur mémoire pour collaborer efficacement avec l’IA et créer de la valeur ajoutée. Ces compétences leur permettraient de se distinguer dans des domaines tels que la recherche, l’innovation, la stratégie et la prise de décision. Ils seraient également en mesure de comprendre les implications éthiques et sociétales de l’IA et de contribuer à l’élaboration de politiques et de réglementations adaptées.

Le second groupe, les " opératifs ", se concentrerait sur des métiers manuels ou de service à la personne qui ne peuvent être facilement automatisés en raison de leur caractère intrinsèquement humain. Ces professions requièrent des compétences relationnelles, de l’empathie et une capacité d’adaptation qui sont difficilement reproductibles par les machines. Parmi ces métiers figurent les soins aux personnes âgées, la plomberie, l’artisanat, l’éducation, ou encore le travail social.

Ces deux groupes pourraient jouer un rôle central dans la construction d’une société où l’IA est utilisée de manière responsable et équilibrée. Les " dieux " pourraient contribuer à l’élaboration de stratégies et de politiques visant à préserver les valeurs humaines et la justice sociale. Les " opératifs ", quant à eux, pourraient assurer la pérennité des services indispensables et du lien social dans un monde en pleine mutation technologique.

La précarité des ‘inutiles’ : revenu universel, dépendance et invisibilité sociale

Le concept de revenu universel a été étudié et expérimenté dans plusieurs pays et régions, et ses effets sur la société et les individus méritent d’être examinés dans le contexte de l’automatisation du travail et de la catégorie des " inutiles ". Les expériences passées et en cours offrent des enseignements précieux sur les conséquences potentielles d’un tel dispositif et les risques associés à une dépendance accrue à l’État. Les expériences de revenu universel menées en Finlande, au Canada et aux Pays-Bas, entre autres, ont montré des résultats contrastés. Certains bénéficiaires ont rapporté une amélioration de leur bien-être et une réduction du stress financier, tandis que d’autres ont exprimé une certaine passivité et une moindre motivation à chercher un emploi ou à se former. Ces résultats suggèrent que le revenu universel pourrait avoir des effets ambivalents sur les individus et la société.

Dans le scénario où les " inutiles " refusent de se reconvertir et se retrouvent dépendants des aides sociales, dont un éventuel revenu universel, plusieurs problèmes pourraient émerger. D’une part, cette dépendance pourrait entraîner un sentiment d’infériorité et de perte de dignité, en privant les individus de la possibilité de contribuer activement à la société et de réaliser leur potentiel. D’autre part, la passivité et le manque d’incitation à se former ou à travailler pourraient exacerber les inégalités et creuser le fossé entre les " dieux ", les " opératifs " et les " inutiles ". De plus, cette situation pourrait engendrer des tensions sociales et politiques, avec une majorité de la population n’existant plus réellement sur le plan économique et contributif. Les " inutiles " pourraient se sentir marginalisés et délaissés, ce qui pourrait mener à un mécontentement généralisé et à une polarisation accrue entre les différentes catégories de la population. Les " inutiles " risquent donc de se retrouver condamnés à une existence oisive, passant leurs journées affalés sur leurs canapés, absorbés par des séries Netflix, tout en se faisant livrer de la nourriture par des sans-papiers bravant la pluie et le froid pour pédaler à leur service.

Nous ne pourrons pas nager contre le courant

Il est donc crucial de prendre conscience des dangers qui menacent notre société et d’agir en conséquence pour éviter de sombrer dans une ère où la majorité de la population serait reléguée au statut d' "inutiles ". Le risque d’une dépendance accrue à l’État et d’une paresse généralisée pourrait entraîner la désintégration sociale et la disparition progressive des valeurs qui fondent notre humanité. Si nous ne nous ressaisissons pas, nous courons le risque de voir notre monde s’effondrer et d’assister à la fin de notre civilisation telle que nous la connaissons. L’importance de se réinventer et de s’adapter aux changements induits par l’intelligence artificielle est essentielle pour éviter de devenir des " inutiles ". Nous devons puiser dans notre créativité, notre ingéniosité et notre persévérance pour façonner un avenir où l’humanité continuera à prospérer et à vivre en harmonie avec les avancées technologiques. La maîtrise de l’IA et la reconversion dans des métiers résistant à l’automatisation sont des solutions qui offrent une voie vers un avenir plus équilibré et durable pour l’ensemble de la société.

Les choix que nous faisons aujourd’hui auront un impact déterminant sur notre avenir commun. L’avenir est entre nos mains et il est de notre responsabilité de coexister avec l’intelligence artificielle, de nous élever face aux défis et de façonner un monde où les valeurs humaines continueront à être célébrées et préservées. Gardons toujours en mémoire qu’il est déjà trop tard. L’IA s’est définitivement installée dans nos existences. Si on nous annonce que nous allons être jetés dans la mer, notre premier réflexe sera d’apprendre à nager. Et pour ceux qui le savent, il ne faudra jamais oublier que nous ne pourrons pas nager contre le courant…