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Un tapis de yoga mesure 180 cm de long par 60 cm de large; le papier traditionnel japonais washi, 31 par 11. Rectangle mousseux pour l’un, feuille blanche immaculée pour l’autre, ils sont tous deux limités par leur dimension standard. Et pourtant, ils permettent de se déployer dans un espace infini. En s’adonnant aux postures techniques du corps ou au tracé du trait calligraphique, Monique Chebli, qui est autant yogi que peintre, se pose sur son tapis de yoga et sur sa feuille washi avec la même appréhension de l’instant présent qui l’amène doucement vers un état de conscience d’elle-même et du monde.

Ses dessins calligraphiques sont ainsi le pendant artistique de sa pratique yogi. Un peu comme le papier imprimé d’un cardiogramme, ils sont le reflet d’une vibration portée par le souffle qui comme dans le yoga en est le vecteur.

Au commencement, Monique aimait dessiner. À l’adolescence, et pour échapper à l’anxiété extérieure de la guerre civile, elle dessinait sur la table de la salle à manger des heures durant. Puis est venu le yoga, bien des années plus tard, auquel elle a accordé son temps et sa concentration. Mais le dessin restait en veilleuse. Au cours de la rédaction de son mémoire de quatre années de formation de yoga, elle enrichit son écriture par des dessins illustrant l’ascension verticale du corps vers une spiritualité de l’être. Puis, durant la période d’enfermement du Covid, elle redécouvre le plaisir de s’installer pour créer. Naissent alors de ce temps suspendu des dessins sur l’attente (le règne minéral) et le temps qui passe (le règne végétal). C’est ensuite, lors d’un séminaire de calligraphie auquel elle participe en France, que le lien entre ces deux pratiques, le yoga d’une part et le dessin de l’autre, lui apparaît comme une évidence. Elle commence alors une série de dessins qu’elle regroupe sous le titre de "Chaos calme" et que la plateforme Artists of Beirut expose dans l’espace Arthaus dans le cadre d’une exposition collective sur le thème de la lenteur.

Tous ces tableaux dessinés exclusivement à l’encre de Chine et répondant toujours au même format sont, avec des résultats à chaque fois différents, l’expression d’un état méditatif. L’encre de Chine permet la fluidité et le résultat est le hasard de ce geste. Tout est rassemblé dans cet instant suspendu entre la plume et la feuille. Tantôt tendu, tantôt allongé, tantôt résistant, tantôt lâche… la liberté du geste est guidée par le souffle et les lignes, les couleurs, les cercles, en sont l’écho. Si le souffle est long, le dessin dépouillé prend de l’ampleur, et si au contraire le souffle est court, saccadé, le dessin est turbulent, serré.

Il ne s’agit pas de contrôler le dessin ou de le composer, mais de vivre un lâcher-prise devant la feuille et laisser le hasard dicter le geste.

Dans certains de ses dessins, le trait est répétitif, car, comme au yoga ou en méditation, la répétition d’une posture ou l’énonciation mentale d’un mantra permettent de rentrer dans l’état d’abandon de pensées (Ananda) du grand calme intérieur à la manière du zen, contrairement à celui qui agite les pensées (les Vrittis). Tout comme au yoga, les dessins ont leur rythme, une alternance entre l’inspiration et l’expiration, le lent et le rapide.
On peut, rien qu’en se laissant aller à la lente contemplation de ses dessins, rentrer soi-même dans une forme d’abandon de l’esprit… le temps de prendre le temps devant cette méditation transmissible, apaisante. Dessiner une méditation en acte.

Article rédigé par Maya Trad

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