D’aucuns ont tenté (et tentent toujours) de dénaturer l’essence même de la révolution d’octobre, la plaçant dans une conjoncture qui serait dépassée. Ceci est loin d’être le cas et le documentaire de Salim Saab est là pour le démontrer. Cette révolution, même si elle a marqué une pause à cause de nombreux facteurs, n’en demeure pas moins une des plus belles révoltes dont le Liban a jamais témoigné depuis son existence. Projeté au Festival du monde arabe de Montréal et sélectionné par Amnesty International pour le festival Au cinéma pour les droits humainsLe Cèdre d’octobre de Salim Saab, couvre les premiers mois euphoriques de la thawra libanaise.

Salim Saab en action sur le terrain
Salim Saab en action sur le terrain

Il était une fois les quatre premiers mois de la révolution…

Salim Saab était de passage à Beyrouth, en ce mois béni d’octobre 2019 durant lequel une taxe sur WhatsApp allait enflammer le pays du Nord au Sud, et faire bouger une population qui n’en pouvait plus de subir les multiples humiliations infligées au grand jour, et sans le moindre scrupule, par une caste politique décadente biberonnée à l’impunité qui a toujours prévalu au Liban.

Dire que les quatre premiers mois de la thawra étaient les plus beaux serait peu dire. Cette foule aussi multiconfessionnelle que chamarrée, scandant d’une même voix "kelon ya3né kelon" (tous c’est-à-dire tous), était ce que j’ai personnellement vécu de plus beau. Cet instant T m’a réconciliée avec mon pays; pays dont je m’étais volontairement séparée pour ne plus vivre en attente de miracles qui ne se produiraient jamais. Le 17 octobre, une flamme incandescente a enflammé mon cœur et les cœurs qui ne demandaient qu’à vibrer pour ce pays à la fois aimé et honni. Un embrasement gigantesque a vu le jour, les artistes s’en sont donnés à cœur joie, apposant leurs graffitis sur les murs, dansant leur révolte entre rap et hip-hop scandés sur des mots devenus porte-voix. L’Art aux premières loges, les femmes aussi, les casseroles, les défilés, un 22 novembre inoubliable.

La caméra de Salim Saab a mémorisé tout cela, filmant au plus près sur fond de battements d’un rythme cardiaque pulsé, très présent au début et à la fin de son documentaire. Ses gros plans surfent sur la foule puis se concentrent sur l’individuel, celui ou celle qui parle pour les autres. Jamais les Libanais n’ont connu cette liesse. Jamais les Libanais n’ont cru tout court en ce "quelque chose" qui allait certainement changer la donne. Occuper la rue était devenu notre but à temps plein. Notre raison de vivre.

Le revers de la médaille qui n’est pas un revers, mais juste un report

Bien sûr, les mafieux n’allaient pas se laisser faire. Prisonniers dans leurs forteresses qu’ils bétonnaient chaque jour davantage, ils ont opté pour la répression. Cette révolution prenait des proportions qui devenaient dangereuses pour eux. Ils ont alors usé des moyens classiques des régimes totalitaires, donnant le feu vert à leurs sbires afin de stopper net cette "dérive" quitte à arrêter et torturer les révolutionnaires, tirer sur eux; sur leurs yeux en particulier. Rien, absolument rien n’a été épargné pour les/nous décourager. La pandémie s’est mise de la partie, la crise économique aussi. Or, il est notoire que plus une personne s’appauvrit, plus elle se cache et se drape de honte et se tapit silencieusement dans le désespoir.

Pour toutes ses ces raisons-là, le documentaire de Salim Saab est un témoignage aussi nécessaire qu’essentiel. Il est la preuve, par l’image, le son et le mot, pour les générations futures, que cette révolte émanait d’un profond désir de changement, que nous y avons vraiment cru, que ce soulèvement est et restera unique… et que le pouvoir a tout fait, absolument tout fait pour étouffer ce cri unanime. Il n’y avait que des Libanais dans les rues, que de vrais et authentiques Libanais qui voulaient tous rompre les cages/cases confessionnelles dans lesquelles on les avait sciemment emprisonnés parce que ces cages/cases représentent le mouroir du projet "Liban"!

Je retiens surtout que d’octobre jusqu’en janvier, et là je parle pour moi, des ailes avaient poussé dans mon dos et je volais au rythme des vibrations de la révolution… Thawra!