Mercredi 12 janvier 2022, le film documentaire Little Palestine, journal d’un siège du Palestino-Syrien Abdallah al-Khatib a fait sa sortie nationale dans les salles de cinéma en France, avant des diffusions télévisées prévues l’année prochaine sur Al-Jazeera Documentaire et ARTE. Ex-habitant de Yarmouk, Al-Khatib y raconte le quotidien du camp assiégé, avant sa destruction quasi totale.

Lorsque la Révolution syrienne éclate, le régime de Bachar el-Assad assiège le quartier de Yarmouk dans la banlieue de Damas en Syrie, vu comme un refuge de rebelles et un noyau de résistance. De 1957 à 2018, Yarmouk a abrité le plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde. Le régime encercle le quartier et met en place un siège à partir de 2013. Progressivement privés de nourriture, de médicaments et d’électricité, les habitants se retrouvent coupés du reste du monde. Le réalisateur témoigne des privations quotidiennes, tout en rendant hommage au courage des enfants et des habitants.

Interrogé par Ici Beyrouth, Abdallah al-Khatib explique: "Le régime syrien a assiégé et détruit Yarmouk comme d’autres endroits en Syrie. C’était comme une punition collective, à l’image de ce qui s’est passé à Ghouta. Sauf que Yarmouk n’est pas à la campagne; le camp se situe dans la banlieue de Damas et il y a beaucoup d’habitants. Le régime comptait ainsi renforcer sa position et c’était un moyen de pression au niveau international."

L’instrumentalisation de la cause palestinienne

Contrairement au discours officiel du Baas – parti nationaliste arabe ayant proclamé l’état d’urgence le plus long de l’histoire moderne en réaction à Israël –, "le régime n’a jamais été avec les Palestiniens. La loi de 1956, accordant aux Palestiniens qui vivent en Syrie les mêmes droits que les citoyens syriens, précède la prise du pouvoir par le Baas en 1963. Le régime baassiste a utilisé la question palestinienne pour servir ses propres intérêts, tout en éliminant la résistance basée au Liban", rappelle Abdallah. Dès 1976 en effet, le camp de Tel al-Zaatar dans la banlieue de Beyrouth est assiégé par les milices chrétiennes avec l’aide de l’armée syrienne, de sorte que le divorce sera consommé entre Hafez el-Assad et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). À la même époque, l’armée syrienne s’oppose militairement aux forces palestiniennes dans la Bekaa, au Sud, et dans le Chouf.

Manifestations à Yarmouk proclamant la solidarité des Palestiniens avec les revendications pour la dignité du peuple syrien. ( Photo: Films de force majeure)

En Syrie, les Palestiniens ne sont officiellement pas des citoyens syriens. Apatrides au sens du droit international, ils se considèrent comme formant une nation particulière dans l’attente d’un droit au retour. Pourtant, Abdallah al-Khatib qui vivait à Yarmouk se définit comme Palestino-Syrien: "Nous faisons partie du peuple syrien et ce film participe de mon combat aux côtés de la Révolution. Les Palestiniens de Yarmouk subissaient  la corruption et l’oppression autant que les Syriens. Dès le début, le camp a offert une protection aux révolutionnaires syriens, des aides humanitaires, des centres d’accueil pour les réfugiés. Ça ne plaisait pas au régime qui a fini par imposer un siège, comme à Homs ou Alep."

"En 2015, après que des éléments de Daech sont entrés dans le camp, le régime nous a bombardés. Les gens de Daech ont ensuite été évacués vers Soueida. Ils sont coordonnés entre eux. Il n’y a pas de combats entre le régime et les organisations terroristes, seulement contre l’armée libre et quelques organisations rebelles. Comme le montre le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, les chefs de Daech étaient soignés à Damas dans les hôpitaux gouvernementaux. Le régime a intérêt à ce qu’ils perdurent."

Les Palestiniens une nouvelle fois abandonnés

Chassés de leur pays d’origine par le conflit israélo-arabe de 1948 – puis par la guerre des six jours en 1967, l’invasion israélienne du Liban en 1982, et la guerre du Golfe en 1990 – les Palestiniens de Syrie ont été placés sous la tutelle de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), leur seule représentation au niveau international. Selon l’Unrwa, ils étaient 420 000 en 2014 en Syrie. Abdallah al-Khatib indique: "Aujourd’hui, une partie vit toujours à Yarmouk, une autre est à Damas, ou dans un camp de réfugiés au Liban, en Turquie, en Europe, ou morte en mer, ou dans une forêt en Biélorussie […]. C’est une nouvelle Nakba. Des gens sont restés, d’autres sont partis. L’histoire se répète de façon dérisoire. La tragédie est la même: destruction, tuerie, exil."

Des jeunes du camp de Yarmouk entonnent un hymne à la vie et à l’espoir au milieu des décombres ( Photo: Films de force majeure)

Des centaines de vies ont été irrémédiablement transformées par la guerre et le siège – de la mère d’Abdallah, qui devient l’infirmière prenant soin des personnes âgées du camp, jusqu’aux activistes acharnés dont l’engagement pour la Palestine est peu à peu ébranlé par la faim… Le réalisateur fustige: "Personne n’a offert de l’aide à ces gens. Les États obéissent à leurs propres intérêts, pas aux valeurs humaines, et les organisations internationales sont gouvernées par les États. Il aurait fallu une décision internationale pour que l’ONU intervienne. Alors les gens se sont organisés eux-mêmes, en créant leurs propres écoles et centres médicaux, en organisant des campagnes de nettoyage et en cultivant pour assurer quelques vivres. Cela n’a pas pu sauver tout le monde, mais ça a aidé lorsque les aides alimentaires ne pouvaient pas entrer."

Aujourd’hui exilé en Allemagne, Abdallah al-Khatib poursuit ses activités de travailleur social et prépare un nouveau film. Né à Yarmouk, il est resté au camp jusqu’à son expulsion par Daech en 2015. Entre 2011 et 2015, il documente avec ses amis le quotidien des assiégés qui ont décidé de faire face aux bombardements, aux déplacements forcés et à la famine en recourant à la solidarité, l’éducation, la musique, l’amour et la joie. Il conclut: "Par ce film, je souhaite tout d’abord informer les gens de ce qui s’est passé à Yarmouk mais aussi raconter ma propre histoire. Même si je sais que ça ne changera pas le cours de l’Histoire, ce film est un message d’amour au lieu et à ses habitants."

Titre original: Little Palestine, Diary of a Siege
89 minutes, documentaire, Liban/France/Qatar

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