En 2022, Pen Club Belgique commémorera son centenaire. En décembre 1922 Louis Piérard déposait les statuts du Cercle des écrivains belges entre les mains de Catherine Amy Jones et John Galsworthy. La poétesse et le romancier avaient fondé Pen International à Londres un an plus tôt. Un beau livre consacré à Pen International (1921-2021) vient de paraître. Dans son édition française, le livre propose un supplément consacré à l’histoire de Pen Belgique (1922-2022), écrit par François-Xavier Lavenne et Jean Jauniaux, respectivement secrétaire général et président honoraire de Pen Belgique. Ce chapitre belge est richement illustré grâce aux Archives et Musée de la littérature de Belgique.

François-Xavier Lavenne est secrétaire général de Pen Belgique et directeur de la fondation Maurice Carême. Docteur ès lettres, il a reçu le Prix de l’Académie royale de Belgique pour sa thèse de doctorat. Il est également président de la fondation Charles Plisnier.

Jean Jauniaux est écrivain et journaliste littéraire. Son dernier recueil de nouvelles, L’Ivresse des livres, est publié aux éditions Zelige (Paris). Ce titre est aussi le nom donné à sa webradio littéraire www.edmondmorrel.be. Il est aujourd’hui président honoraire de Pen Belgique dont il a assuré pendant six ans la présidence effective.

Nous les avons rencontrés (en virtuel) pour Ici Beyrouth afin d’évoquer ce double centenaire.

Pen Club international a été créé en 1921 à Londres en vue d’inciter le monde des lettres à sensibiliser l’opinion aux grands enjeux du moment. Pourquoi le contexte de la Première Guerre mondiale a-t-il amené à la création du Pen Club International, à quelle urgence cette création d’une organisation internationale répondait-elle? Que signifie l’acronyme "Pen"?

F.-X. Lavenne et J. Jauniaux: Pen International est une organisation mondiale qui promeut la littérature et défend la liberté d’expression. L’acronyme "Pen" est dû à Catherine Amy Dawson Scott. Du mot anglais pen ("stylo"), il évoque, tels qu’ils existaient alors, les différents métiers de l’écriture: P = PoetsPlaywrights; E = Essayists, Editors; N = NovelistsNon-fiction authors. Au fil des années, l’organisation de défense du droit à la liberté d’expression a bien sûr élargi son champ d’intervention en incluant les scénaristes (de BD notamment), les blogueurs, les journalistes littéraires, etc.

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Lavenne et Jauniaux à propos de Charles Plisnier – Colloque MONS 2017 sur Plisnier

Depuis sa création, Pen Club International s’est attaché à défendre la libre circulation des hommes et des idées, en organisant notamment des congrès et des échanges culturels internationaux. Aujourd’hui agréée par l’Unesco et le Conseil économique et social des Nations unies, l’association travaille en étroite collaboration avec de nombreuses organisations internationales: Amnesty InternationalHuman Rights WatchArticle 19Comité pour la protection des journalistesFédération internationale des journalistesReporters sans frontièresIndex on Censorship, ou encore, le Tibetan Writers Abroad PEN Centre.

Pen International est membre de l’International Freedom of Expression Exchange (IFEX), un réseau virtuel mondial d’ONG qui surveille les violations de la liberté d’expression et qui organise, fédère ou relaie les campagnes conjointes ou organisées par ses membres, pour la défense des journalistes, des écrivains et de toute personne persécutée alors qu’elle exerce son droit à la liberté d’expression.

Pourriez-vous nous dire ce qui a poussé une dame comme Catherine Amy Dawson Scott et le romancier John Galsworthy à créer une organisation d’échange entre écrivains du monde entier? On connait peu le rôle de Catherine Amy Dawson Scott; pourrait-on dire qu’il s’agit d’une personnalité féminine d’influence oubliée au profit de ses collègues masculins?
JJX: Catherine Amy Dawson Scott était poète, romancière mais aussi militante féministe dont les convictions sociales et politiques se sont nourries et consolidées pendant les quatre années de guerre. Lorsqu’on lit aujourd’hui sa biographie, on se rend compte qu’elle mériterait d’être reconnue davantage. Romans, recueils de poésie, essais jalonnent son œuvre littéraire. En 1917, elle créa un premier club littéraire, le To-Morrow Club. Les dîners de ce club permettent à de jeunes écrivains de rencontrer leurs aînés et d’échanger lors de rencontres hebdomadaires. Ces To-Morrow Clubs sont une sorte de préfiguration du Pen Club. Ils montrent en tous cas l’engagement de Catherine Amy Dawson Scott pour la promotion des œuvres littéraires…

FXL: Pen Club, créé quelques années plus tard, aura une vocation plus large s’adressant à la communauté internationale des écrivains…

Quelles autres femmes ont-elles marqué des avancées pour Pen International et Pen Belgique?
JJX: Il a fallu attendre plusieurs décennies pour qu’une femme soit élue à la présidence de Pen International. Jennifer Clément vient en effet d’achever un double mandat à la tête de l’association. Quant à Pen Belgique, sa présidence fut assurée pendant trois décennies par une autrice, Huguette de Broqueville. Au sein de Pen, comme au sein de la société littéraire, les autrices prennent enfin la place qui leur revient. Il est bien entendu difficile de répondre à votre question au niveau international: la situation des femmes écrivaines est précaire et difficile dans de nombreux pays. Dans le livre du centenaire, nombreuses sont les femmes écrivaines mises en évidence pour leur militantisme, pour leur engagement, pour leur détermination les conduisant parfois à une mort violente comme ce fut le cas pour Ana Politovskaïa en Russie, ou Daphne Caruana Galizia à Malte, pour ne citer que deux exemples parmi de nombreux autres. Les dangers encourus dans bien des pays par les femmes écrivaines sont une des raisons pour lesquelles Pen International a mis sur pied un Comité qui se consacre spécifiquement à la défense de leurs droits et à leur protection dans les régimes totalitaires.

FXL: Le premier Pen Club fut en effet créé en 1921 sous l’impulsion de Catherine Amy Dawson Scott et du dramaturge John Galsworthy. Leur but était de créer une internationale des écrivains et de réfléchir à la reconstruction culturelle d’un monde déchiré par quatre années de guerre. Le Pen Club se voulait un espace de rencontre entre les écrivains, quels que soient leur nationalité, leur langue, leurs convictions religieuses ou politiques, pour peu qu’ils partagent les mêmes valeurs humanistes, au centre desquelles figurait la défense de la paix et de la liberté. Les écrivains belges furent parmi les premiers à ressentir l’importance de cet appel et, l’année suivante, la section belge du Pen Club, appelée officiellement Cercle des écrivains belges, fit partie du premier noyau de ce qui allait devenir un mouvement international aujourd’hui présent dans plus de cent pays.

Quel fut précisément le rôle du Wallon Louis Piérard à Frameries?
FXL: En Belgique, on ne peut dissocier la création d’un centre belge de Pen International de la figure exceptionnelle que fut dans le monde politique et littéraire de l’époque, l’écrivain et politicien Louis Piérard. Homme d’exception, homme d’engagement, homme de culture, il est le descendant de mineurs dans la région du Borinage (son grand-père était porion dans une mine de Frameries). S’il fallait en dresser un portrait sommaire, il faudrait de multiples entrées pour embrasser la carrière multiple de celui qui fut journaliste,  grand reporter, critique d’art, député et auteur de multiples projets de loi (culture/arts/littérature), conférencier improvisateur brillantissime, poète (ses premières heures étaient saluées par le grand poète belge Émile Verhaeren), promoteur à l’étranger des arts et lettres de la Belgique, écologiste, romancier, essayiste…

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En décembre 1922 Louis Piérard déposait les statuts du " Cercle des écrivains belges ".

JJX: Louis Piérard ne pouvait qu’être sensible aux idéaux de Pen International, "ligue des nations pour les hommes et femmes de lettres", qui tisse entre les écrivains du monde entier des réseaux d’amitié et de solidarité face aux grands enjeux du temps. Depuis 1921, les enjeux de Pen se sont multipliés en vue de préserver le droit à la liberté d’expression menacé par les régimes politiques totalitaires. Poète, romancier, grand reporter, nouvelliste, critique d’art et homme politique, Piérard publie ses premiers articles à l’adolescence. Homme politique il n’a eu de cesse de défendre l’accès à la culture et les intérêts des artistes. Infatigable voyageur, il ramène des États-Unis, du Brésil, d’Argentine ou d’Afrique du Nord des reportages qui témoignent du talent d’un journaliste-écrivain utilisant toutes les ressources de la sensibilité, de l’intelligence et de l’art pour rendre compte de la complexité du monde. Poète et romancier, il avait aussi le talent de l’amitié qu’il entretenait par-delà les frontières, les langues et les origines avec des figures aussi éminentes que Stephan Zweig, Romain Rolland, John Galsworthy, Apollinaire, Jules Romains, Georges Duhamel, Paul Claudel, Blaise Cendrars…

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Carte de presse d’époque – Louis Piérard

Lorsqu’il décède, l’émotion est grande dans les milieux littéraire, artistique, académique et politique. Une personnalité hors-norme s’est éteinte dans l’exercice infatigable de son combat pour la culture et la liberté.

FXL: Cent ans après la création de Pen, l’occasion nous est donnée de saluer l’engagement d’un homme qui a sacrifié sa propre oeuvre pour se mettre au service des autres. En cela il nous rappelle d’autres membres éminents de Pen Belgique, comme Albert Ayguesparse et Jacques De Decker.

État des lieux de Pen Belgique aujourd’hui?
FXL: Le bilan des activités menées, tant en Belgique que lors des congrès et comités internationaux de Pen Belgique francophone, reflète ses ambitions initiales mais invite aussi à s’y investir davantage. Les activités de Pen Belgique francophone s’articulent autour de deux axes: la promotion de la littérature et la défense du droit à la liberté d’expression.

JJX: Inscrit dans le réseau des 150 centres nationaux et régionaux de Pen International, le centre belge francophone s’y exprime dans l’ensemble de ses instances: le congrès mondial annuel et les différents comités internationaux. Il s’agit d’irremplaçables occasions de rencontres avec les acteurs du monde littéraire et culturel du monde entier, réunis autour de thématiques et d’idéaux communs. La situation spécifique de Pen Belgique, son histoire et ses engagements conduisaient naturellement Pen Belgique francophone à participer activement au Comité pour les droits linguistiques et la traduction littéraire. Pen Belgique francophone a régulièrement organisé des rencontres littéraires. Les invités littéraires des centres nationaux de Pen sont, par tradition, des écrivains issus d’autres pays que le pays d’accueil. J’ai ainsi pu inviter de nombreux écrivains pour des entretiens qui se déroulaient principalement au Palais des académies: Svetlana Aléxéiévitch (Prix Nobel de littérature), Didier Decoin, Fanny Ardant et Jean-Daniel Baltassat, Nadezda Azhgikhina, Gérard de Cortanze, Asli Erdogan, Maurizio Serra, Andréi Kourkov …

FXL: Dans le cadre de la défense du droit à la liberté d’expression et à la protection des écrivains persécutés, Pen Belgique francophone inscrit au nombre de ses "membres d’honneur" les femmes et hommes de lettres dont la situation inquiétante a été mise en évidence par le secrétariat de Pen International, comme Nargué Mohamaeda, Asli Erdogan, Ahmed Altan, Zehra Dogan, Ashraf Fayed. Le soutien moral d’artistes et d’écrivains de dimension internationale est également acquis à Pen Belgique francophone auquel ont adhéré en qualité de membres honoraires: Amin Maalouf, Erri de Luca, Henri Vernes, Svetlana Alexéiévitch, JMG Le Clézio, Paul Auster et d’autres.

JJX: Permettez-moi au terme de cet entretien de former le voeu que les objectifs de Pen, ses ambitions et ses réalisations susciteront chez les lectrices et lecteurs la vocation de rejoindre cette association dont la pérennité n’est en rien assurée, dans un environnement qui le rend pourtant indispensable.

Prenant appui sur le siècle qui vient de nous être raconté, il convient de souligner ce qui en constitue une tâche inachevée, sollicitant sans cesse notre vigilance, appelant sans trêve à manifester notre inquiétude. En déployant la carte du monde, n’observons-nous pas, tentaculaire, souterraine et puissante, la menace permanente que font peser l’opportunisme et l’indifférence sur la liberté d’opinion et d’expression?

Le début de la charte du Pen International s’ouvre par une déclaration qui dit que la littérature ne connait pas de frontières, mais actuellement, grâce aux plates-formes d’échanges et aux réseaux sociaux, la diffusion de la littérature ne serait-elle pas facilitée?
JJX: Comme je le disais, la vocation de Pen International s’est élargie à tous les développements de la "littérature" comprise au sens le plus large, tant dans les nouveaux modes d’écriture que de diffusion. C’est ainsi qu’aujourd’hui la bande dessinée, le journalisme littéraire, les blogs et autres plateformes de diffusion entrent dans le champ d’action de Pen.

Faut-il être écrivain pour rejoindre Pen Belgique? Comment vous contacter?
FXL: Merci de me permettre ici de préciser qu’il ne faut pas être écrivain pour être membre de Pen Belgique. Toute personne souhaitant apporter son soutien et se solidariser avec les actions et les idéaux de Pen (promotion de la littérature, au sens large, et défense du droit à la liberté d’expression) est invitée à devenir "membre ami" de l’association et d’y rejoindre ainsi les "membres écrivains". Toutes les informations pratiques ainsi qu’un formulaire d’adhésion sont disponibles sur le site www.penclubbelgique.be.

Avez-vous des connexions avec Pen Liban?
JJX: Pendant mon mandat de président effectif de Pen Belgique, j’ai activement participé à un projet de créer un réseau des centres francophones de Pen International. Il n’a pas, à ce jour, été constitué et j’espère qu’il le sera bientôt. Ce serait une formidable opportunité de créer et développer des liens entre les littératures francophones et de promouvoir celles-ci. Dans ce contexte, des contacts avec Pen Liban pourraient se développer. Par ailleurs, dans le cadre du congrès mondial annuel de Pen International, des contacts bilatéraux se créent naturellement bien sûr.

 PEN International, Une histoire illustrée, Actes Sud, 2021, 320 p. 
Disponible notamment auprès de Pen Belgique
www.penclubbelgique.be

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