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Le 26 novembre, les Musicales du Liban à Paris ont baissé le rideau sur leur cinquième saison musicale automnale avec la prestation, haute en couleur, du Quatuor Sedecim. Un concert qui s’est avéré être un triomphe musical digne des éloges les plus vibrants.

Sous le crépuscule languissant de l’humanité, le jacquemart s’abandonne à son sinistre lamento. Les cloches de ce fidèle narrateur du temps, qui autrefois égrenaient les heures, retentissent désormais avec une monotonie lugubre et insignifiante, comme le triste écho de cette humanité qui s’éteint progressivement. Dans un monde effronté, insensible et toujours plus dépourvu de nuances, la déshumanisation s’infiltre insidieusement et irrévocablement. L’univers semble ainsi suspendu dans un équilibre précaire, captif des murmures sombres de ce "librettiste des brumes", ainsi que le déclame profondément le poète Alain Tasso dans son recueil Soliloques d’un jacquemart, comme une provocation aux abysses afin d’y réveiller un seuil d’émerveillement. Toutefois, au sein de ce requiem poignant que devient la vie, la musique se révèle comme une épiphanie rédemptrice, inaugurant la voie vers la résurrection de cette humanité perdue.

À travers cette communion musicale, les frontières s’estompent, et un baiser, unique et singulier, s’élève comme une allégorie vivante de l’harmonie universelle, pour enlacer l’univers, tel qu’imaginé par l’esprit éclairé de Friedrich von Schiller (1759-1805) et immortalisé par le génie infini de Ludwig van Beethoven (1770-1827). Tout au long de leur édition automnale de cette année, les Musicales du Liban, à Paris, ont incarné cette aspiration profonde, réaffirmant que la musique possède le pouvoir exquis de sonder les profondeurs afin d’extraire les émotions de l’oubli, tissant par là-même des liens ineffables entre les âmes. Les instigateurs de cette célébration musicale, en l’occurrence la musicographe Zeina Saleh Kayali et le pianiste Georges Daccache, émergent ainsi comme de nouveaux jacquemarts, distillant le temps par le biais d’une floraison de concerts et d’œuvres occidentales et orientalistes, mettant en exergue des compositeurs libanais.

Rivières mélodiques

Le 26 novembre, l’imposante cathédrale Notre-Dame du Liban, à Paris, dont l’éminent compositeur français Gilbert Amy appréciait tout particulièrement la beauté de son acoustique et sa résonance, se prépare à accueillir dans son enceinte l’ultime concert des Musicales du Liban, prévu à seize heures. Le crépuscule s’insinue avec une douce langueur automnale, ourlant le firmament d’une palette infinie de teintes embrasées. Dans cette pénombre naissante, les musiciens du Quatuor Sedecim prennent place, leurs instruments finement accordés in situ, prêts à s’élancer dans un périple musical le long des rivières mélodiques tracées par Iyad Kanaan (né en 1967), Béchara el-Khoury (né en 1957) et Antonín Dvořák (1841-1904). La soirée s’ouvre avec le Quatuor oriental en ré mineur d’Iyad Kanaan. À peine la quinte inaugurale éclate-t-elle à l’unisson, dans le premier mouvement Allegro furioso, qu’une mélodie captivante, parée de couleurs orientalistes, se profile. L’exotisme musical, mis en exergue par Kanaan, s’illustre typiquement par l’utilisation fréquente de l’intervalle de seconde augmentée, à laquelle s’ajoute la technique de la basse en bourdon haché, ainsi que l’emploi d’un ostinato rythmique, tous deux méticuleusement interprétés par le violoncelle. L’harmonie est, en plus, réduite à l’utilisation abondante de l’intervalle de quinte.

Sonorité opulente

Le quatuor français baigne l’auditeur dans une sonorité à la fois opulente et réconfortante, révélant une profondeur interprétative, ponctuée toutefois par quelques intonations et articulations perfectibles. Cependant, ce souci de justesse ne prendra nullement le pas sur la finesse de son interprétation qui atteindra son apogée dans le second thème, Andante, du premier mouvement. Il semble alors que le premier violon, Laura Daniel, se livre à une improvisation, tant son expression est instinctive et naturelle. On savoure la splendeur d’un son suave, assurée par un archet soyeux, qui enrobe les lamentations de l’instrument d’un vibrato poignant. Dans le deuxième mouvement, Adagio, les quatre musiciens se montrent sous leur meilleur jour, révélant une éloquence exceptionnelle qui émane de leur attention méticuleuse pour l’harmonie. La précision de l’articulation des plans sonores et l’équilibre subtil des registres sont autant de témoignages de leur maîtrise.

On retiendra particulièrement le dialogue émouvant entre le violoncelle et le premier violon, réitérant la même phrase mélodique, ainsi que le bras de fer entre le second violon et l’alto, explorant audacieusement des mélodies intégrant des intervalles de trois quarts de tons qui resteront gravés dans les mémoires. Aucune des richesses de la partition d’Iyad Kanaan n’est négligée, et les détails les plus subtils de l’écriture musicale levantine sont délicatement mis en lumière sans jamais sombrer dans la démesure, révélant la finesse et la profondeur de cette interprétation. Cette louable minutie semble quelque peu compromise dans le troisième mouvement, Allegro, par une précipitation indue, engendrant des imprécisions regrettables. La brume de cette hâte a malheureusement voilé de nombreux joyaux musicaux qui abondent dans la partition, mais qui, hélas, n’atteindront pas leur plein éclat.

Pureté musicale

Dans la deuxième pièce de la soirée, Image op.32, "La nuit", pour quatuor à cordes, composée par Béchara el-Khoury et dédiée à Zeina Saleh Kayali, les jeunes musiciens parviennent à dissiper le brouillard opaque qui enveloppe la partition. En effet, l’œuvre d’El-Khoury ne se révèle pas d’emblée; elle exige un engagement actif de la part de l’auditeur, l’incitant à démêler le fil d’Ariane qui le guide progressivement vers des sommets de pureté musicale. Le premier thème de cette pièce, Misterioso, dévoile les mystères d’une nuit tombante, esquissant non pas des images nocturnes, mais plutôt des impressions fugaces de cette obscurité grandissante. L’œuvre se révèle ainsi imprégnée d’une nuance impressionniste et capture avec finesse l’atmosphère mystérieuse de cette nuit évanescente, accentuée par un subito piano et un subito forte qui créent une succession dynamique d’ombre et de lumière. À ce titre, la gestion des différents plans sonores adoptée par le Quatuor Sedecim, et notamment des équilibres minutieux entre les voix, est visiblement remarquable. Les subtilités de la partition demeurent perceptibles, et le rendu n’est jamais assourdissant. Le second thème, Lyrique, est sculpté avec élégance et pudeur, montrant, une fois de plus, que Béchara el-Khoury est un maître de l’art de la mélodie, un art qui demeure intensément prononcé au sein de l’atonalisme écrasant qui marque son œuvre.

Sensibilité exacerbée

Cette soirée musicale atteint son apogée avec le clou du spectacle: le Quatuor à cordes no.12 en fa majeur, op. 96, dit "Américain" d’Antonín Dvořák. Ce chef-d’œuvre de l’art romantique, imprégné de sonorités folkloriques du Nouveau Monde, se distingue par une vivacité rythmique et une palette mélodique riche. Des premières notes de l’Allegro ma non troppo, jusqu’aux derniers accords du Finale vivace ma non troppo, aucun instant de lourdeur n’entachera cette interprétation qui se révèle à la fois robuste, énergique et empreinte d’une sensibilité exacerbée. Le deuxième mouvement, Lento, imprégné d’un lyrisme rêveur, oscille entre l’essence de la musique tchèque et les mélopées du blues américain: le quatuor instaure une tension narrative captivante où s’enchaînent avec fluidité des lignes mélodiques claires, tout en accordant à la partition sa dimension passionnée. Dans une danse ininterrompue d’expressivité mobile, tout s’anime sans la moindre vacillation, à l’exception de quelques notes émanant du premier violon, stridentes et chancelantes. Les musiciens s’écoutent et se répondent, éclairant fidèlement les pages et les subtilités qui défilent, notamment celles des trilles du Piranga écarlate dans le troisième mouvement, Molto vivace. Dans les dernières mesures, imprégnées d’une nostalgie profonde du pays natal, cette pièce trouve son achèvement dans une apothéose musicale. Un triomphe.

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