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Le réalisateur français présente à Cannes un film inclassable mêlant thriller, comédie musicale et transidentité, avec Selena Gomez et Zoe Saldaña. Une œuvre audacieuse et surprenante.

Jacques Audiard, cinéaste français récompensé d’une Palme d’or en 2015 pour Dheepan, revient sur la Croisette avec Emilia Pérez, un film en compétition qui bouscule les codes du cinéma. À 72 ans, le réalisateur n’a pas fini de surprendre et propose une œuvre inclassable, tournée en espagnol, qui mêle avec brio thriller sombre, comédie musicale et thématique transgenre.

Le film raconte l’histoire de Manitas, un puissant baron de la drogue mexicain incarné par l’actrice transgenre espagnole Karla Sofía Gascón. Aspirant à changer radicalement de vie, Manitas décide de quitter le milieu criminel pour devenir une femme, Emilia Pérez, quitte à disparaître aux yeux de son épouse (Selena Gomez) et de ses enfants. Pour mener à bien son projet, il fait enlever une avocate, Rita (Zoé Saldaña), qui deviendra sa plus proche collaboratrice.

Audiard aborde avec justesse et sensibilité la question de la transidentité, offrant un rôle en or à Karla Sofía Gascón. L’actrice de 52 ans, qui a elle-même changé de genre à 46 ans, apporte une authenticité et une profondeur remarquables à son personnage, incarnant à la fois Manitas et Emilia, avant et après la transition.

Emilia Pérez ne se contente pas d’explorer la quête d’identité de son protagoniste. Le film plonge le spectateur dans la sombre réalité de la société mexicaine, rongée par la violence et la pauvreté. Jacques Audiard parvient à traiter ces thèmes difficiles avec une élégance rare, offrant des scènes chorégraphiées sur des rythmes latinos envoûtants, du reggaeton à la musique mexicaine traditionnelle, en passant par un classique de la chanson française.

La musique est d’ailleurs au cœur de ce film, qui rappelle les grands classiques de la comédie musicale tels que West Side Story. Après avoir envisagé une collaboration avec Tom Waits et Gonzales, Audiard a finalement choisi Camille, artiste française reconnue, pour composer les chansons du film. Les paroles évoquent le changement des corps pour changer les âmes et la société, ainsi que la diversité des identités de genre.

La qualité des décors et des costumes, financés en partie par Saint Laurent Productions, contribue à l’esthétique impeccable du film. Cette collaboration marque d’ailleurs une première pour une maison de couture, qui intègre désormais la production cinématographique à part entière dans ses activités.

À l’inverse d’autres réalisateurs vétérans présents à Cannes cette année, comme Francis Ford Coppola avec Megalopolis ou Paul Schrader avec Oh Canada, Jacques Audiard prouve qu’il est toujours en phase avec son époque. Sa filmographie éclectique, allant du film de prison au western en passant par le mélodrame, témoigne de sa capacité à se renouveler et à surprendre.

Avec Emilia Pérez, Audiard offre une place de choix aux personnages féminins, poursuivant ainsi la tendance amorcée dans Les Olympiades, chronique de la jeunesse parisienne présentée il y a trois ans à Cannes. Ce film audacieux et inclassable pourrait bien séduire le jury présidé par Greta Gerwig, elle-même habituée à bousculer les codes avec des œuvres comme Barbie.

Emilia Pérez confirme le talent et l’audace de Jacques Audiard, qui parvient à réinventer la comédie musicale en y intégrant des thèmes forts comme la transidentité et la violence de la société mexicaine. Un film à la fois sombre et lumineux, porté par des interprètes exceptionnels.

Avec AFP