Dans le cadre de la 28e saison du Festival al-Bustan, l’Orchestre philharmonique du Liban, placé sous la direction flamboyante et intuitive de la Vénézuélienne Glass Marcano, a livré, ce vendredi 25 février, une interprétation audacieuse d’un florilège de pièces orchestrales italo-russe.

Révélation de la première édition de La Maestra, premier concours de cheffes d’orchestre réservé aux femmes, Glass Marcano a jeté l’ancre à Beyrouth pour (re)donner vie à l’Orchestre philharmonique du Liban (OPL), ce vivier national qui peine, depuis des années, faute de chefs d’orchestre compétents, à livrer des interprétations convaincantes et soignées des chefs-d’œuvre musicaux de l’humanité. Vérité vérité quand tu nous tiens, on peut bien dire: "Adieu prudence!" Jean de La Fontaine, vous nous excuserez d’avoir déformé votre expression, la vérité est aujourd’hui bien plus souveraine que l’amour. Vendredi soir, la jeune maestra a osé changer la donne. Elle est parvenue à doser les harmonies et aiguiser les tempi des différents pupitres dans un programme qui a fait honorablement dialoguer Piotr Ilitch Tchaïkovski et Gioachino Rossini.

Océan symphonique

C’est avec l’emblématique Valse des fleurs de Tchaïkovski, extraite du deuxième acte de son célèbre ballet festif Casse-Noisette, que le coup d’envoi du concert est donné. Dès les premières notes, Glass Marcano semble soucieuse des plus infimes équilibres sonores, à commencer par le duo de hautbois qui vient préparer le terrain pour une cadence de harpe aux glissandi étincelants, avant que les luxuriantes harmonies orchestrales se raccordent. Des cors aux clarinettes en passant par les cordes, les instrumentistes rivalisent de justesse stylistique dans une interprétation envoûtante et sans concession du fameux thème à trois temps, traversé par de brefs épanchements lyriques chantants qui détendent agréablement la griserie du rythme. La baguette virevoltante, la maestra continue de régner, avec hardiesse, sur cet océan symphonique, menant ainsi l’orchestre à l’apogée finale de la pièce où le roulement de timbales conduit à une fanfare de cuivres rehaussée par des trémolos des cordes. On retiendra particulièrement de cette lumineuse interprétation la clarté des plans sonores, la louable sonorité et l’engagement des pupitres de cuivres, et le dynamisme véhément des cordes.

Atrocité de la réalité et douceur des rêves

À la galanterie de la valse succède la fatalité de la Symphonie no 4 de Tchaïkovski, le premier maillon du "cycle du destin" formé des trois dernières symphonies de ce dernier. Cette pièce incarne, selon les mots du compositeur, cette force fatale qui empêche notre élan vers le bonheur d’atteindre son but, une force invincible qui ne peut jamais être vaincue – simplement endurée, sans espoir. La symphonie s’ouvre, par un Andante sostenuto, sur un puissant motif joué par les cors et les bassons et répété par les trompettes, représentant la quintessence même de toute la symphonie: le fatum. L’interprétation de ce premier mouvement convainc par un engouement exemplaire, où le combat incessant entre les cuivres, explicitant l’atrocité de la réalité, et les cordes, chantant la douceur des rêves éphémères, crée des étincelles d’exaltation, à tel point que le public ne manque pas d’applaudir cette fin de mouvement.

Le deuxième mouvement poursuit et amplifie le sentiment de mélancolie et de désespoir. Le hautbois énonce sinistrement le nouveau thème, Andantino in modo di canzona, en entonnant un air lugubre accompagné de cordes en pizzicato. Marcano joue, par la suite, sur les contrastes en dépeignant une atmosphère de soulagement momentanée avec les cordes, qui ne tardera pas à céder la place à un climat de nostalgie et de mélancolie envahissante qui mènera finalement les violons à chanter l’air d’ouverture du hautbois. Avec le troisième mouvement, Scherzo puis Allegro, la musique acquiert une perspective plus optimiste, manifestée par des pizzicati qui auraient gagné à être plus synchrones. La symphonie poursuit son élan en crescendo pour finalement aboutir au thème final, Allegro con fuoco, où se déchaîne une frénésie virtuose, faisant gronder des fortissimi, quelques fois exagérés, mais toujours dans le respect de l’harmonie des plans sonores. La recherche du bonheur perdu s’intensifie alors, mais le thème du fatum entrave tout déploiement de lueurs festives. Les fracas des cymbales retentissent à la fin de la pièce, annonçant solennellement le triomphe bien mérité des instrumentistes qui auront fait preuve d’une concentration sans relâchement.

Allegro vivace

La dernière partie du concert est consacrée au célébrissime Allegro vivace de l’Ouverture de Guillaume Tell, composée par Rossini. Sous la direction attentive de Marcano, l’orchestre se lance au galop: les motifs déferlent, les mélodies cavalent, les couleurs orchestrales s’intensifient et le discours gagne en singularité. Finalement, les cuivres résonneront une dernière fois dans une sorte de fanfare cadencée par le galop des cordes avant que l’ouverture s’achève avec brio. Les acclamations accourent aussitôt des quatre coins de l’église Saint-Joseph pour saluer le talent de la cheffe vénézuélienne qui ne tarde pas à gratifier son public de plusieurs bis marqués par les rythmes du Mambo. À l’issu de ce concert, on ne peut que féliciter le Festival al-Bustan d’avoir convié cette maestra d’envergure qui a su transcender tous les préjugés et les stéréotypes sans pour autant s’en vanter.