Accompagnés au piano par Gianluca Marcianò, trois chanteurs ont baissé le rideau sur la 28e saison du Festival al-Bustan qui a été marquée par une programmation éclectique et riche.

La 28e saison du Festival al-Bustan, jusqu’ici impeccable (ou presque), s’est achevée, le dimanche 13 mars, par un concert qui tombe, malheureusement, à plat. La soirée de clôture déçoit et laisse ainsi quelques frustrations, desservie par des inégalités et des incohérences, quelques fois flagrantes, voire même des moments déroutants. Alors que la première partie du concert fait alterner des moments forts et d’autres nettement plus faibles, la seconde partie dévoile des interprétations plus fulgurantes mais loin d’être accomplies. En effet, tout ce qui brille n’est pas or ; de même tout ce qui enthousiasme le public n’est pas forcement valable musicalement. Trois chanteurs, le baryton russe Nikolai Zemlyanskikh, la soprano américaine Kathleen Norchi, et le ténor libanais Béchara Moufarrej (remplaçant le ténor sud-africain Mlindi Aubrey Pato), se partagent la scène et interprètent un bouquet d’œuvres lyriques, oscillant entre ombre et lumière.

Dièse et bémols  

Le concert s’ouvre avec la prestation du baryton russe qui convainc sur tous les plans. Armé d’une voix solide, il ne sacrifie ni la rigueur stylistique ni l’intensité émotionnelle aux prouesses techniques, aussi bien dans Bella siccome un angelo, extrait de l’opéra-comique Don Pasquale (1843) de Gaetano Donizetti, que dans O Mimi tu più non torni, extrait de l’opéra La Bohème (1896) de Giacomo Puccini. Ces moments voluptueux sont vite éclipsés par des tableaux plus ternes avec la soprano américaine et le ténor libanais. La soprano défend plus ou moins mal Vincenzo Bellini dans Oh quante volte aria, extrait de l’opéra Capuleti e i Montecchi (1830), et Giacomo Puccini dans Non sono in vena, extrait de l’opéra La Bohème, faisant entendre un accent clairement américain mais pas spécialement gênant. Par contre, la prédominance des vibrati larges et l’absence des harmoniques aigus et d’une voix canalisée ont considérablement compromis la justesse de son interprétation joliment timbrée, qui aurait pu atteindre des sommets plus nobles. Quant au ténor, le velours de son timbre solaire, quelque fois caricatural cependant, opère d’emblée mais cela est loin d’être suffisant. On regrettera, tout au long de sa performance, un manque d’éclat dans sa voix engorgée et plutôt poussive qui péchait par manque de raffinement, aussi bien dans Ella mi fu rapita, extrait de l’opéra Rigoletto (1851) de Giuseppe Verdi, que dans O Mimi tu più non torni.

Couleurs vocales subtiles

Au fur et à mesure du concert, les trois voix prennent leurs aises. Ainsi, Kathleen Norchi fait entendre, dans la deuxième partie de la soirée, des extensions plus vigoureuses vers l’aigu en déployant des couleurs vocales encore plus subtiles, faisant preuve d’une assez bonne maîtrise des glissandi mais moins bonne des vibrati, dans Prendi per me sei libero, extrait du melodramma giocoso L’Elisir d’amore (1832) de Gaetano Donizetti ; dans le duo de Violetta et Alfredo dans Parigi, o cara, extrait de l’opéra La Traviata (1853) de Giuseppe Verdi ; et le duo de Silvio et Nedda dans Nedda! Silvio!, extrait de l’opéra Pagliacci (1892) de Ruggero Leoncavallo. La technique perfectible de Nikolai Zemlyanskikh lui permet de préserver son style soigné, faisant entendre un chant de grande ampleur et d’une remarquable expressivité musicale dans Come Paride vezzoso, extrait de L’Elisir d’amore ; Ah! Per sempre, extrait de I Puritani (1835) de Vincenzo Bellini ; et le duo de Silvio et Nedda, composé par Ruggero Leoncavallo. Béchara Moufarrej, quant à lui, incarne, après l’entracte, un Alfredo beaucoup plus convaincant dans Lunge da lei et Parigi, o cara (dans le duo Violetta-Alfredo), tous deux extraits de La Traviata: son phrasé est élégant, sa ligne mélodique est bien dessinée, mais ses sonorités restent étouffées.

Le concert, et ainsi la 28e saison, se termine par une lumineuse interprétation du célèbre air Libiamo ne’ lieti calici, extrait de La Traviata, durant laquelle les trois chanteurs trinquent à la prochaine édition du festival, célébrant, malgré tous les bémols, la réussite bien méritée de la saison de cette année.