Si vous ne savez pas encore pourquoi l’eau est si rationnée chez vous, ces quelques lignes peuvent vous en donner une idée.

Ce n’est pas l’actualité des sérails, mais c’est bien celle de (presque) tous les ménages : il n’y a pas d’eau dans le robinet. Matière vitale par excellence, donc charge incompressible ; s’en procurer devient fastidieux et onéreux. Les responsables des offices d’eau se plaignent qu’ils n’ont pas assez de mazout pour faire fonctionner les pompes, ni de fonctionnaires pour entretenir le réseau, ni de dollars pour les pièces de rechange. Ce qui est parfois vrai. Mais ce n’est qu’un subterfuge. La fourniture anémique d’eau ne date pas d’hier, ces organismes n’ont jamais été capables de satisfaire les besoins. Mais est-ce que cela signifie que la pénurie d’eau est le résultat du ‘dérèglement climatique’, comme certains se plaisent à raconter ?

En fait non, on n’a pas de pénurie d’eau. La preuve, quand vous n’en avez plus dans le réservoir de votre immeuble, vous appelez votre fournisseur privé, qui arrive illico avec sa citerne de 25.000 litres, au prix actuel de 800.000 LL. Mais comment fait-il ce bon Abou Antoun pour s’en procurer assez pour faire sa dizaine de livraisons quotidiennes ? Pour faire simple, voilà comment le système fonctionne en bref.

D’abord, l’organisme officiel est vétuste, dans le sens administratif bien sûr, mais aussi par ses canalisations, de sorte que plein d’eau envoyée dans ces canalisations se perd dans la nature et n’arrive jamais à destination. La perte serait de l’ordre de 40% en moyenne. Ensuite, il y a des privilégiés. Par exemple, la station-service en face lave 30 voitures par jour, ce qui équivaut à un mois de consommation chez vous. Ils y arrivent en soudoyant un agent qui leur ‘ouvre’ cette valve métallique installée chez eux par l’administration. Ainsi, ils auront une profusion d’eau, et vous en aurez beaucoup moins du coup, étant connectés au même branchement du réseau.

Revenons maintenant à l’histoire des livreurs en citerne. Ceux-ci pompent leur eau dans un puits creusé dans la région. Il y a en fait trois genres de puits commerciaux (à part ceux appartenant à un immeuble, desservant uniquement ses résidents) : les puits publics appartenant à l’organisme officiel, puis les puits privés mais autorisés par des permis, et les privés mais sans permis. Les privés avec permis ont le droit de puiser une quantité limitée d’eau par jour, définie par décret, contre une taxe forfaitaire. Mais comme personne ne les contrôle, ils en puisent autant qu’ils veulent, soutenus en cela par leur mentor politique. Les privés sans permis jouissent déjà d’un appui politique sans faille, donc on les laisse faire.

Or comme les terrains dans les zones résidentielles sont limités, ces puits (publics et privés) s’approvisionnent des mêmes nappes souterraines (appelées phréatiques). Ce qui fait que cette nappe, au lieu de servir uniquement le puits public, sert également une multitude de puits privés. L’eau disponible est donc répartie entre ces deux genres d’acteurs.

Encore mieux, le ministère décide généralement de forer sur un terrain déterminé ‘à titre exploratoire’, car personne ne peut être absolument sûr qu’il y a assez d’eau dans un endroit donné avant de creuser. Les privés, eux, sont plus malins. Ils ne tâtonnent pas. Ils attendent souvent que l’État trouve effectivement de l’eau dans un endroit donné, puis creusent leur puits à côté. Plusieurs puits se répartissent ainsi la même source, et la part de l’État s’en trouve diminuée d’autant, de même que la quantité d’eau livrée chez vous. Il y a eu même des cas où les propriétaires des puits privés dans une région donnée se plaignent auprès de leur député que le puits public pompe l’eau de la même nappe phréatique, ce qui leur est préjudiciable.

Pourtant, des solutions existent, consignées dans des études bien ficelées, mais oubliées dans quelque tiroir, dont par exemple la gestion déléguée inspirée du modèle français.

Mais on préfère perpétuer le système actuel de gouvernance où tout le monde trouve son compte : le ministère fait semblant de travailler ; les privés font de l’argent facile ; et les politiques dorlotent leur clientèle sans payer de leur poche. Les seuls lésés sont les citoyens.