Quel est le point commun entre les discours de presque tous les ministres, du président du Conseil, et du président de la République ?

Réponse: chacun, au sein de cette caste, a clairement indiqué que la réussite de sa mission dépendra en fait de la générosité des donateurs. Le président fait appel à toute la communauté internationale, le Premier ministre aux pays arabes, le ministre des Finances au FMI, le ministre de l’Agriculture à la FAO, le ministre de la Santé à l’OMS, les ministres de l’Énergie et des Affaires sociales à la Banque mondiale, le ministre de l’Éducation à l’Unicef…

Et dès qu’un responsable – haut mendiant –  obtient une assistance, il considère que c’est une grande réalisation à ajouter à son crédit lorsqu’il remplira les pages de son bilan dans cet almanach en papier glacé 4-couleurs.

Un des champions de la mendicité est le ministre des Travaux publics et du Transport qui multiplie les annonces d’assistance, promise ou simplement évoquée lors de ses déplacements. On lui aurait promis en France quelques dizaines de bus, mais il espère en obtenir un peu plus. Puis, lors sa récente visite en Turquie, il a même été jusqu’à demander à son collègue turc s’il restait dans l’ancien aéroport Atatürk d’Istanbul, après la construction du nouvel aéroport en 2019, quelques équipements usagés que nous pourrions récupérer. Peut-être un scanner, un tapis à valises, des bureaux, quelques tabourets…

Un épiphénomène dans la même veine se produit actuellement: on sollicite les organisations non-gouvernementales locales, qui sont effectivement en train d’aider l’État dans des domaines cruciaux, au lieu de recevoir son aide comme il se doit. Certaines mettent en place des applications de e-gouvernement, d’autres se proposent de réparer les feux de signalisation, des ONG régionales fournissent quelques litres de mazout à Ogero pour maintenir les télécoms en vie, des associations d’expatriés pourvoient leur ambassade en papeterie…

Au-delà de l’absence totale de dignité chez nos mendiants-en-chef, cette pratique est en fait devenue, très sérieusement, la politique économique officielle de ce qui reste de l’État.

Certains pourraient rétorquer que, suite à la crise, il est normal qu’on demande une assistance ponctuelle, comme tant d’autres pays l’ont fait avant nous. Une affirmation qui ne tient pas la route.

D’abord, personne n’a même pensé mobiliser nos ressources internes et celles des expatriés, investisseurs potentiels, en leur proposant de prendre en charge certains secteurs vitaux de l’économie, phagocytés par l’État. L’Histoire regorge d’exemples de pays en faillite qui, avec ou sans crédit du FMI, se sont en fait relevés grâce à leurs ressources internes, depuis l’Islande jusqu’à la Corée du sud, en passant par les pays d’Europe orientale au cours des dernières décennies et tout au long du XXe siècle. Et puis non, ce n’est pas Monsieur Marshall qui a reconstruit l’Europe de l’après-guerre. Selon les économistes de l’époque, ce plan américain n’explique qu’une faible part de la croissance européenne des années 1950; l’effet direct du plan Marshall fut égal à 0,3 point de croissance entre 1948 et 1951, pour un transfert équivalent à 2% du PIB.

Alors comment expliquer notre contre-exemple? Il suffit de dire que nos responsables considèrent les Libanais – peuple, secteur privé – comme leurs ennemis (ce qui n’est pas entièrement faux) et qu’il faut donc les éviter à tout prix. Aucune confiance de part et d’autre. Il reste que, au final, on retrouve à la tête du pays rien de plus qu’une vulgaire ligue de mendiants professionnels, dont l’ambition ultime est de convertir le pays entier à la mendicité.