Une énième version de la loi sur le contrôle des capitaux a été diffusée il y a quelques jours, concoctée, semble-t-il, par le vice-premier ministre Saadeh al-Chami, et avalisée par le FMI. Elle est supposée être discutée ce lundi 28 mars au sein d’une commission parlementaire avant d’être soumise en principe au vote du Parlement le lendemain. Comment se présente cette version ?

Il faut d’abord noter qu’elle arrive avec 30 mois de retard et que le mal est amplement fait. Doublement. Car, d’abord, de larges transferts à l’étranger ont déjà été réalisés. Ensuite, la confiance dans le secteur bancaire a été largement perdue, un objectif visé par le Hezbollah. Passons quand même en revue les principales dispositions du projet de loi pour déterminer si elle va contribuer à limiter les dégâts – avec quelques commentaires initiaux, en attendant la version finale, quand et si…

Transferts. La règle générale est que les transferts à l’étranger sont interdits, avec quelques exceptions :

– Les fonds ‘frais’, déposés dans les banques après le 9 avril 2020 : une façon d’encourager un retour même partiel de la confiance.

– Les fonds de l’État libanais et des États et organismes internationaux.

– Les fonds résultant des exportations. Mais… le texte laisse des doutes concernant le sort final de ces fonds, qui restent soumis aux décisions d’une commission ad hoc, ce qui constitue une épée de Damoclès préjudiciable pour l’activité industrielle dans le pays.

– Les transferts destinés à des soins médicaux à l’étranger. On note ici que les transferts aux étudiants, généralement inclus dans cette rubrique, ont été omis cette fois.

– Toute autre opération décidée par la Commission au fur et à mesure, y compris pour des importations de biens vitaux pour le pays.

Change. Toute opération de change devra être réalisée au taux de la plateforme Sayrafa. Mais le texte limite fortement les opérations de change de la livre libanaise vers une devise étrangère, sauf celles qui seront autorisées par la Commission. Les exceptions sont de même nature que les précédentes : État libanais, États et organismes étrangers, importations autorisées par la commission, soins médicaux… ainsi que les opérations interbancaires. Cette limitation va nécessairement provoquer un développement spectaculaire du marché noir de change.

Comptes. Les banques, selon le projet de loi, ne pourront ouvrir de nouveaux comptes sauf dans des cas précis : paiement de salaires, pensions de retraite, crédits documentaires, opérations de change… ainsi que des fonds transférés de l’étranger à un résident. On y ajoute ‘tout autre motif’ qui sera décidé par la Commission qui, décidément, aura tous les pouvoirs. On note à ce propos que les honoraires des professions libérales ne sont pas nommément mentionnés dans cette liste. Cette limitation est d’ailleurs superflue, et même nuisible, car elle entrave la constitution de nouvelles sociétés, leurs droits n’étant plus automatiquement acquis.

Retraits. Les montants de retrait en liquide, que ce soit en devises ou en LL, seront aussi décidés par la Commission, avec en principe un plafond de 1000 dollars par mois.

Monnaie nationale. Tout paiement au Liban devra se faire en LL, sauf pour des exceptions décidées par la Commission, qui aura aussi la possibilité de statuer sur l’utilisation des chèques. Les comptes en devises (sauf l’argent ‘frais’) serviront uniquement à opérer des transferts à l’étranger là où c’est permis, à changer ces devises en LL, ou à retirer du liquide selon le plafond décidé ci-dessus.

Exports. Les fonds, en devises, provenant des exports devront être rapatriés au Liban. Ces fonds ne seront pas considérés comme de l’argent frais. Une mesure qui est de nature à décourager les industriels à développer leurs affaires au Liban, ou même à y rester.

La Commission. La fameuse Commission ad hoc qui aura pratiquement des pouvoirs absolus pour l’exécution de cette loi et pour sa modulation est formée de quatre personnes : le gouverneur de la Banque centrale (BDL), les ministres des Finances et de l’Économie, et le Premier ministre (ou son représentant), en tant que président.

Exécution. Les autres instances déjà existantes (Commission de contrôle des banques, Haut comité bancaire) poursuivront leurs missions, en y ajoutant le contrôle de la conformité des banques aux dispositions de cette loi. Des sanctions sont prévues pour toute contravention. La loi leur donne des prérogatives d’investigation supplémentaires, qui ressemblent à une levée partielle du secret bancaire.

Durée de la loi. Les dispositions de cette loi sont jugées ‘exceptionnelles’ et seront exécutoires immédiatement, mais sans effet rétroactif. La loi sera valable pendant cinq ans, une durée qui pourrait être prolongée ou écourtée par le Conseil des ministres.

Notes finales

Cette mouture de la loi semble plus équilibrée que les précédentes, même si ses limitations semblent excessives et injustifiées (le contraire du ‘business friendly’). Mais une mention spéciale devra être réservée à cette Commission toute puissante. On a voulu ainsi limiter le rôle du gouverneur de la BDL, en y adjoignant trois autres membres. Ceci dit, une commission comporte en son sein ses propres limites d’action. Qu’arrivera-t-il si tous les membres de cette commission ne sont pas d’accord sur un point précis ? Ou si certains des membres sont incompétents en la matière? Ou si les quatre membres sont de bords politiques antagonistes ? Dans un pays où le virus ‘consensuel’ est ravageur, on peut s’attendre à une politisation malsaine de ses décisions.

D’un autre côté, la loi ne statue pas sur les potentiels investissements directs étrangers. Supposons qu’un investisseur étranger ou un expatrié veut investir au Liban, est-ce qu’il aura le droit de rapatrier ses bénéfices ou même l’ensemble de ses fonds ? Encore une fois, l’idée de relancer l’économie nationale n’est pas à l’ordre du jour des autorités. On réfléchit toujours en termes de ‘limitation et répartition des pertes’.