Michel Moawad et les blocs qui l’appuient continuent d’œuvrer pour atteindre la barre symbolique des 65 voix, qui changerait l’équilibre des forces.

La détermination et la clarté des uns, face à l’attentisme et l’ambiguïté des autres: c’est ainsi que l’on peut résumer pour l’instant les séances consacrées à l’élection d’un président de la République, dont la 7ème a été levée jeudi, tout comme les précédentes, sans que cette mission pourtant cruciale dans les circonstances actuelles ne soit accomplie.

Alors que les blocs souverainistes continuent d’exprimer leur détermination à appuyer la candidature du député Michel Moawad, et à atteindre les 65 voix en sa faveur, chiffre symbolique car équivalent à la majorité absolue, les groupes parlementaires et députés du 8 Mars campent sur leur position attentiste, traduite par les bulletins blancs qu’ils déposent dans l’urne.

Crédit photo: Ali Fawaz

Sur les 110 députés présents dans l’hémicycle jeudi, 42 ont donné leur voix à M. Moawad et 50 ont voté blanc. Le député de Zghorta a perdu une voix par rapport à la séance de jeudi dernier, mais si l’on compte les députés absents qui auraient voté en sa faveur, il bénéficie de l’appui de 47 députés. Les absents concernés sont Nadim Gemayel et Élias Hankache (Kataëb), Chaouki Daccache (Forces libanaises), Ihab Matar (indépendant) et Najat Saliba (Taqaddom).

Pour ce qui est des votes blancs, ils ont augmenté par rapport à la dernière séance, où leur nombre était de 46. Les autres bulletins se sont ainsi répartis: six pour le professeur Issam Khalifé (le même nombre que jeudi dernier, exprimés par le député de Saïda Oussama Saad et 5 députés du Changement), deux voix pour l’ancien ministre Ziyad Baroud (dont celle du vice-président du Parlement Élias Bou Saab, contre trois jeudi dernier) et une voix pour Badri Daher (ancien directeur général des douanes, proche du camp de l’ancien président Michel Aoun et détenu dans l’affaire de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth).

Un bulletin au nom de l’ancien président du Chili, Salvador Allende, a été annulé, et huit portant la mention " Liban nouveau " (contre 9 jeudi dernier) ont été déposés par le bloc de la Modération nationale (Akkar) et des députés indépendants de Beyrouth.

Crédit photo: Ali Fawaz

Atermoiement du 8 Mars

Il convient de noter que le député Sleiman Frangié, candidat non-déclaré du Hezbollah et du mouvement Amal, n’a reçu aucune voix jeudi, après avoir créé la surprise la semaine dernière en obtenant un vote. L’atermoiement du 8 Mars vis-à-vis de la candidature de M. Frangié reflète clairement la difficulté qu’éprouve le Hezbollah à convaincre le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à donner son aval à cette démarche. Selon des observateurs, M. Bassil n’a pas encore totalement perdu espoir de succéder à son beau-père Michel Aoun, ou demande en échange de cela un prix jugé trop élevé par ses interlocuteurs. Ou encore que se clarifient les intentions des États qui s’intéressent encore à la politique libanaise, et qui pourraient convaincre les groupes hésitants et faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre.

Face à cet attentisme, le camp souverainiste continue d’afficher sa détermination. Aux blocs de la République forte (Forces libanaises), du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste), du parti Kataëb, du Renouveau et de quelques indépendants, qui appuient M. Moawad dès le but, se sont ajoutés de nouveaux députés. Mark Daou, membre du parti Taqaddom a annoncé jeudi qu’il votera en faveur du député de Zghorta, précisant que la députée Najat Aoun, en déplacement à l’étranger, adoptera désormais cette même position. S’adressant à la presse avant le début de la séance, MM. Daou et Moawad ont expliqué les fondements de leur entente. Un "accord sur la présidentielle" entre le parti Taqaddom et le Mouvement de l’indépendance, dirigé par M. Moawad, a ensuite été publié.

Crédit photo: Ali Fawaz

La symbolique des 65 voix

Pourquoi les blocs souverainistes sont-ils déterminés à augmenter le nombre de voix de leur candidat, et atteindre les 65 votes? En fait, ils ne le font pas par entêtement, mais parce que ce chiffre, qui équivaut à la majorité absolue du nombre des députés, est significatif.

Si cela se produit, "on se retrouvera dans un équilibre de forces tout à fait différent", explique M. Moawad à Ici Beyrouth, ajoutant: "Nous aurons une opposition unie avec une majorité parlementaire et populaire confisquée".

"Forts de notre majorité, nous mènerons alors une bataille pour le quorum, qui sera parlementaire, politique, populaire, et international", confie le candidat souverainiste, qui appelle tous les députés de l’opposition à "prendre une décision courageuse et franchir le Rubicon".

Rappelant qu’il essaie de "libaniser" ces élections, il précise que ceux qui votent blancs attendent "des compromis ou des compromissions au niveau régional".

L’importance des 65 voix est également expliquée par le député Saïd Asmar (Forces libanaises), qui relève qu’elles permettront de s’adresser à la population, au patriarcat maronite de Bkerké et à la communauté internationale, pour qu’ils interviennent en faveur du quorum des deux-tiers (86 voix).

Refusant que "le Liban reste une carte politique aux mains de l’Iran, dans le grand jeu d’échec au Moyen-Orient", le député Sélim Sayegh (Kataëb) appelle à soustraire le Liban à la politique des axes.  Au lieu de se tourner vers un État étranger, comme le font certains partis, il appuie l’appel du patriarche maronite Béchara Rai à "une conférence internationale pour sauver le Liban".

La séance

La séance, quant à elle, s’est rapidement déroulée, en l’absence du tout débat constitutionnel autour de l’article 49 relatif aux modalités d’élection du président. Une polémique à ce sujet avait occupé une bonne partie des 5ème et 6ème séances électorales. Les députés Kataëb et des élus du bloc du Changement avaient appelé à des séances successives jusqu’à l’élection d’un président, soulignant que le quorum des deux-tiers ne s’applique qu’au premier tour et non aux suivants. Mais l’appui des députés du PSP et des FL au quorum des deux-tiers à tous les tours a contribué à mettre fin au débat.

Sur un autre plan, Élias Bou Saab a signalé qu’en vertu de l’article 12 du règlement intérieur de la Chambre, les bulletins de vote qui comprennent plus qu’un prénom et un nom sont considérés comme annulés. Il a relevé que cela s’applique à la mention "Liban nouveau", une remarque rejetée par le président de la Chambre Nabih Berry, qui a décidé que ces bulletins ne seront pas annulés.

À son tour, le député Sajih Attiyé (Modération) a appelé M. Berry à former "une commission parlementaire de dialogue" pour mettre un terme au statu quo. Mais la proposition n’a pas obtenu l’aval du chef du Législatif.

La nécessité d’adopter le vote électronique a en outre été défendue par plusieurs députés, notamment Firas Hamdan, surtout après une erreur dans l’annonce des résultats du vote. Après le dépouillement des voix, il a été annoncé que M. Moawad a obtenu 40 voix, et que 52 bulletins blancs ont été retrouvés dans l’urne. Mais plusieurs députés, qui avaient eux aussi compté les voix, ont protesté. M. Berry s’est empressé de vérifier et de préciser qu’il s’agissait de 50 votes blancs et 42 en faveur de M. Moawad. M. Bou Saab s’est chargé de préciser que le vote électronique ne pouvait pas s’appliquer à l’élection présidentielle, car le vote doit être secret.

Les journalistes dans la tribune, qui commençaient à se lasser des séances à répétition, ont été quelque peu amusés par le fait que l’un des députés du Hezbollah, Ali Fayad, ne s’est pas levé pour aller voter à l’appel de son nom, n’ayant pas entendu que son tour était arrivé. Certains d’entre eux se sont efforcés d’attirer son attention, surtout que son bulletin se trouvait encore devant lui. Il s’est donc levé et s’est dirigé vers l’urne, étonné de sa propre distraction.

Si M. Fayad a oublié de voter, ses collègues au sein du bloc du Hezbollah, ainsi que leurs collègues du mouvement Amal et alliés, n’ont pas oublié, eux, qu’il fallait quitter l’hémicycle avant la fin du dépouillement. Comme à chaque séance, ils ont tranquillement pris le chemin de la sortie, provoquant un défaut de quorum à l’issue du premier tour.

Aux députés du CPL qui semblaient amusés par cette situation, certains l’exprimant même à haute voix, le député Waddah Sadek a répliqué: "Vous vous amusez, mais le pays n’en peut plus". Cela lui a valu une attaque pointue du député aouniste Sélim Aoun, qui a interrogé M. Sadek sur son passé, son présent… et même son avenir. La diffusion télévisée de la séance ayant pris fin, il s’est arrêté là.

Prochain rendez-vous, jeudi 1er décembre. Deux des députés présents ce jeudi n’y participeront pas. Peu après la levée de la séance électorale, le Conseil constitutionnel a annoncé qu’il acceptait les recours en invalidation présentés contre deux députés de Tripoli, Rami Finge et Firas Salloum, qui seront remplacés par Fayçal Karamé et Haïdar Nasser. La performance de M. Finge, médecin très respecté de Tripoli, qui faisait partie du bloc du Changement mais n’hésitait pas à exprimer ses convictions, a laissé une très bonne impression Place de l’Étoile. Pour lui, comme pour M. Salloum, la 7eme séance aura malheureusement été la dernière.