Les activistes de la diaspora libanaise ont remporté haut la main deux batailles, celle du droit de voter suivant leur région d’origine et non pour 6 députés les représentant, et celle de l’inscription du plus grand nombre d’électeurs possibles durant le court délai imparti par la loi. Cependant, certaines rumeurs font état d’une nouvelle tentative de certaines factions de confisquer le droit de voter " pour les 128 " députés, et de limiter les voix des émigrés à une 16eme circonscription créée pour eux à l’étranger. Les regroupements d’expatriés rejettent en bloc cette possibilité, suspectant une tentative de les marginaliser, ou même de reporter le scrutin prévu en mai prochain.

" Nous sommes des expatriés libanais, mais nous sommes d’abord des citoyens libanais, et c’est pour cela que nous voulons exercer notre droit civique et participer au changement politique dans notre pays " : c’est parce qu’elle est convaincue qu’il est de son devoir, et en son pouvoir, de contribuer au sauvetage du Liban, que Souraya Al-Ahmar, Libanaise vivant à Paris, a participé début 2020, au lancement de TLDN, The Lebanese Diaspora Network.

Ce réseau, qui a vu le jour " 17 semaines après le 17 octobre 2019, et 110 jours après la première manifestation des Libanais de l’étranger ", comme le précise son site internet, réunit des expatriés et des représentants de regroupements de Libanais de la diaspora à travers le monde, qui œuvrent ensemble de manière coordonnée sur différentes actions, touchant trois axes : les élections, le lobbying et les projets à long terme visant à établir un État de droit au Liban.

TLDN, tout comme d’autres collectifs libanais de l’étranger, et en coopération avec ceux-là, joue un rôle de première importance dans tout ce qui se rapporte à la participation des émigrés libanais aux prochaines législatives, prévues le 15 mai au Liban, le 6 mai dans les pays arabes et le 8 mai dans les autres pays, sachant que pour ouvrir un bureau de vote, 200 personnes au moins doivent s’être inscrites.

Dans ce cadre, les organisations actives dans la diaspora ont déjà mené deux batailles qu’elles ont remportées : celles du droit des émigrés de voter suivant leur région d’origine et non pour 6 députés représentant les expatriés, et celle de l’inscription du plus grand nombre d’électeurs émigrés possibles durant le court délai imparti par la loi. Alors que les organisations s’efforcent de préserver ces deux acquis, le premier pourrait être compromis, par le biais d’une proposition de loi visant à rétablir la 16ᵉ circonscription.

128 et non 6

" Dès mai 2021, des rumeurs faisaient état de l’intention du pouvoir en place de limiter le vote des émigrés à 6 députés seulement ou même de l’annuler ", se souvient Souraya Al-Ahmar, " ce qui aurait largement minimisé nos espoirs de réaliser un grand changement politique lors des élections ".

On rappelle que la loi électorale de 2017 prévoyait, en plus des 15 circonscriptions de la métropole, une 16e circonscription de six députés répartis sur les six continents, réservée aux émigrés inscrits dans les ambassades libanaises de leurs pays d’adoption. Pour le scrutin de 2018, la loi avait suspendu l’application de cette disposition " exceptionnellement " mais elle redevenait valide en 2022.

Pour contrer cette tentative de les " marginaliser ", les collectifs libanais de la diaspora, en association avec la société civile au Liban, ont mené une large campagne. Ils ont d’abord publié une lettre ouverte adressée à la ministre des Affaires étrangères par intérim à l’époque Zeina Acar, suivie d’une vidéo dans laquelle de nombreux expatriés réclamaient leurs droits de voter " pour 128 députés et non pour 6 ".

Cette campagne, qui a également été diffusée sur les télévisions libanaises, " visait à augmenter la sensibilisation sur les droits des expatriés ", explique Souraya Al-Ahmar, notant que beaucoup d’entre eux ne savaient même pas que la loi les autorisait à participer au scrutin.

Étouffer la voix des expatriés

Par la suite, les émigrés libanais ont poursuivi leurs initiatives pour garantir leur droit de voter selon leur circonscription d’origine : sit-in devant les ambassades, pétition soutenue par les collectifs et regroupements, ou pression sur les ambassades et consulats libanais à travers une lettre que chaque expatrié pouvait envoyer à sa représentation diplomatique.

Rabih el-Amine, président du Conseil des directeurs exécutifs libanais (LEC), basé à Riyad, souligne que " le vote de la diaspora est essentiel dans les circonstances normales, que serait-ce dans les circonstances délicates que traverse le Liban ? "

Pour ce qui est du vote pour les 128 députés, le LEC, une organisation très active parmi les Libanais expatriés, notamment dans les pays arabes du Golfe, " a mené la bataille très tôt, en coordination avec les autres regroupements d’émigrés, car toute notre action est en concertation avec des collectifs d’émigrés répartis dans le monde entier ", précise-t-il. Dans ce cadre, le LEC avait envoyé une lettre aux présidents de la République, du Parlement et du conseil des ministres, et aux chefs des blocs parlementaires, fin septembre, mettant en garde contre toute tentative " d’étouffer la voix " des émigrés en les empêchant de voter selon leur circonscription d’origine, ou d’annuler le vote de la diaspora.

Selon Rabih el-Amine, les différentes actions des Libanais de l’étranger ont " embarrassé certains partis, qui ont dû écouter leurs supporters à l’étranger et accepter de consacrer le droit de voter selon la circonscription d’origine ".

Les efforts des émigrés, qui ont bénéficié de l’appui de groupes de la société civile au Liban, et qui ont été relayés par les médias de la métropole et certains médias internationaux, ont porté leurs fruits. Le 19 octobre, le Parlement libanais a voté des amendements de la loi électorale, supprimant notamment la 16ᵉ circonscription et accordant donc aux expatriés le droit de voter pour les candidats de leurs circonscriptions.

Ce vote avait été fêté par la diaspora, qui y avait vu une première victoire. Le Courant patriotique libre, et notamment son chef Gebran Bassil, s’était empressé de doucher les espoirs des émigrés, en présentant le 17 novembre un recours en invalidation des amendements, auprès de la Cour constitutionnelle.

De nouveau, les émigrés avaient mené campagne dans les médias et les réseaux sociaux. Ils avaient adressé aussi une lettre au Conseil constitutionnel, signée par plusieurs collectifs libanais dans le monde. La non-décision de la Cour constitutionnelle le 21 décembre dernier au sujet du recours, qui signifiait que les amendements entraient de facto en vigueur, avait conforté leur droit de voter pour les 128.

" Réclamer nos droits "

" Créer une 16ᵉ circonscription, qui n’est pas vraiment représentative de la diaspora libanaise, n’avait pas vraiment de sens ", souligne Souraya Al-Ahmar. " On se sentait marginalisés. Si on souhaite participer aux élections, c’est bien pour faire entendre notre voix, réclamer nos droits de citoyens libanais, faire parvenir notre soutien au peuple, à nos familles et amis qui résident au Liban " ajoute-t-elle.

Relevant que de nombreux expatriés sont actuellement hors du Liban pour une durée déterminée, et souhaitent y retourner, notamment les étudiants, Souraya note que ceux-là se sentent concernés par ce qui se passe dans leur patrie. En outre, beaucoup d’expatriés en Europe ou aux États unis, qui ont la double nationalité, " gardent leur patrie dans leur cœur, et militent pour un Liban qui se rapproche le plus de leurs valeurs, de tout ce qu’ils ont appris dans leurs pays d’accueil ".

Elle indique dans ce cadre que l’obtention du droit de voter pour les 128 " est une petite victoire dans la grande bataille, car la grande victoire sera celle que nous espérons remporter lors des élections ".

Nouvelle tentative ?

Et si, comme certaines rumeurs l’annoncent, ce droit était de nouveau mis en danger, par le biais d’une proposition de loi visant à rétablir la 16ᵉ circonscription ? La réponse de Souraya ne se fait pas attendre : " On continuera à militer, à faire entendre notre voix, car on n’accepte pas d’être marginalisés de cette façon. On réagira et on prendra les mesures qu’il faut au niveau légal, pour garantir notre droit de voter en tant que citoyens libanais ".

Selon Rabih el-Amine, une nouvelle tentative d’imposer la 16ᵉ circonscription " ne pourrait avoir lieu que s’il y a collusion entre ceux qui à la base voulaient limiter le vote des émigrés à 6 sièges, et ils sont connus, et ceux qui, après avoir vu le grand nombre d’inscrits, ont réalisé qu’ils n’ont pas intérêt à ce que les émigrés votent pour les 128 députés. Ou alors, certains partis pourraient essayer de faire passer une telle décision dans le cadre d’un deal en fonction duquel ils obtiendraient autre chose ".

" Quoi qu’il soit, cela serait très dangereux, et pourrait être le prélude à un report des élections ", relève le président du LEC, qui ajoute : " Nous avons appris que le ministère des Affaires étrangères aurait demandé à certaines ambassades de contacter des hommes d’affaires et regroupements de businessmen pour explorer la possibilité que ces derniers financent les coûts opérationnels de ces ambassades durant les trois prochaines années ".

Il précise que le ministère aurait également essayé de savoir si ces groupes pourraient financer l’opération électorale. Mais Rabih el-Amine souligne que la diaspora n’est aucunement disposée à financer le travail des ambassades, à moins d’un plan clair de réforme et restructuration du Palais Bustros.

Quant à l’opération électorale, des regroupements d’hommes d’affaires pourraient apporter une petite aide logistique si cela lui était demandé, ajoute-t-il, rejetant catégoriquement la possibilité que chaque expatrié qui souhaite voter doive payer une somme en dollars pour le faire, comme l’affirment certaines rumeurs.

" On nous demande de verser de l’argent, mais on veut nous priver du droit de voter pour notre circonscription d’origine ! ", s’étonne Rabih el-Amine, qui refuse toute tentative de remettre sur le tapis la 16ᵉ circonscription : " En tant que diaspora, nous prendrons une position ferme et nous ne baisserons pas les bras. D’ores et déjà, nous coordonnons ensemble, dans les collectifs des expatriés, pour étudier les mesures à prendre. La pression de la diaspora sera très forte ".

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