De nombreuses questions se posent au Liban, plongé dans une crise grave, complexe et existentielle, qui va bien au-delà de ce que l’on pourrait appeler une "crise d’un régime". Ce dernier a en effet rendu l’âme à Dieu depuis qu’il est passé sous le contrôle du Hezbollah… Ce qui est désormais en jeu, c’est le sort du pays: est-il encore viable ?

La première de ces questions est celle de savoir si les élections législatives auront lieu à leur date prévue, le 15 mai prochain, ou pas. La réponse est très difficile.

Les risques d’un report ne sont pas dus au fait que le Hezbollah pourrait perdre la majorité au sein du nouveau Parlement. Le parti, qui n’est rien d’autre qu’une brigade au sein des Gardiens de la révolution iranienne, est loin d’être menacé de perdre "sa" majorité, grâce à la loi électorale sur base de laquelle ces élections doivent se tenir, une loi abracadabrante qui convient parfaitement au Hezb, puisqu’elle lui a été taillée sur mesure. Cette loi a été adoptée avant les législatives de 2018, de sorte que l’ancien commandant de la brigade al-Qods, feu Qassem Soleimani, puisse annoncer plus tard, avec un toupet monumental et une insolence insupportable, que l’Iran dispose désormais d’une "majorité" au sein du Parlement libanais.

La question de savoir si les élections seront reportées acquiert en revanche toute sa pertinence à la lumière de la situation du Courant patriotique libre (CPL), le parti du duo présidentiel Michel Aoun-Gebran Bassil. Le CPL souffre d’un réel problème face à sa baisse de popularité en milieu chrétien. Une telle dégringolade menace Gebran Bassil, à la recherche de nouvelles alliances qui lui permettraient de conserver son siège parlementaire à Batroun. M. Bassil a même été contraint d’envoyer une délégation à Damas pour demander au régime syrien de faire pression sur le chef des Marada, Sleiman Frangié, pour persuader ce dernier de le soutenir au sein de sa circonscription.

La situation du chef du CPL s’est aggravée encore plus avec la décision courageuse prise par le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, de soutenir le candidat Majd Boutros Harb à Batroun, où les Kataëb ont de tout temps disposé d’une base importante, notamment dans la région centrale du caza.

Il reviendra au Hezbollah en dernier lieu de décider si sa préoccupation première est uniquement d’obtenir une majorité au Parlement… ou s’il doit aussi choyer sa couverture chrétienne, c’est-à-dire le courant aouniste, en net recul face aux Forces libanaises (FL) et leur président Samir Geagea, et aux Kataëb.

Dans quelle mesure le Hezb portera-t-il les aounistes sur ses épaules à la prochaine étape, à l’heure où il doit songer aussi aux moyens d’apaiser sa base populaire chiite qui, à son tour, commence à souffrir des pratiques du "mandat fort". Les conséquences de la formule selon laquelle "les armes protègent la corruption", qui règne depuis plusieurs années dans le pays, ont fini par rattraper le public du Hezbollah. Cette formule a conduit à la faillite du Liban et de la plupart des Libanais, dont une grande partie de chiites, le pays ayant perdu tous les ingrédients qui étaient le ciment de son existence depuis l’annonce de la création du Grand Liban en 1920.

Le Hezbollah n’a pas réussi à transférer son expérience chiite chez les chrétiens. Il a pu former le soi-disant "tandem chiite" avec le mouvement Amal, prouvant ainsi, jour après jour, depuis la guerre de l’Iqlim el-Tuffah au début des années 90 du siècle dernier, qu’il détenait le premier et le dernier mot sur la scène chiite. Mais la même dynamique ne s’est pas reproduite sur le plan chrétien entre les aounistes et les FL, en dépit de l’accord de Meerab de sinistre mémoire.

Il n’est un secret pour personne que le Hezb ne sera pas à l’aise au sein du nouveau Parlement s’il existe au sein de ce dernier une majorité chrétienne claire face à son hégémonie sur le Liban, et ce même s’il effectue des percées électorales aux niveaux sunnite et druze.

Ces considérations peuvent suffire à elles seules au parti pour aller dans le sens de la tendance de Michel Aoun et de Gebran Bassil à vouloir reporter les élections, sur base du prétexte selon lequel davantage de temps est nécessaire pour mieux se préparer à l’échéance, ne serait-ce que sur le plan chrétien.

Plus encore, le duo présidentiel pense que tout accord américano-iranien lui sera bénéfique, ainsi qu’à son "nouvel" allié de longue date, à savoir le régime syrien. De ce point de vue, il estime que sa seule option pour sauver l’avenir politique du "gendre présidentiel" est de reporter les élections et d’œuvrer à tirer profit de meilleures circonstances régionales, favorables aux intérêts de la République islamique iranienne qui a propulsé Michel Aoun au palais de Baabda le dernier jour d’octobre 2016.