"Nous continuerons de fournir soutien et assistance à l’Ukraine et au peuple ukrainien". C’est ce qu’a assuré le président américain Joe Biden à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, lors d’un entretien téléphonique qu’ils ont eu mercredi soir. Le lendemain, Moscou envahissait l’Ukraine dans le cadre d’une "opération spéciale et limitée", selon les déclarations des responsables russes. Une opération qui a eu pour effet de raviver les souvenirs des deux guerres mondiales dont le Vieux continent a été le théâtre au début et au milieu du siècle précédent.

A cette époque, la solidarité internationale était plus efficace, en particulier celle manifestée par les États-Unis dont l’intervention directe durant les deux guerres mondiales avait contribué à renverser l’équilibre des forces au profit du camp occidental, donnant ainsi naissance à un nouveau monde et traçant les frontières des États dans notre région, dont le Liban, qui était sous occupation turque avant de passer sous mandat français. Deux camps politiques mondiaux en ont aussi émergé, ainsi qu’une guerre froide qui répondait à des équations qui régissaient l’équilibre des forces internationales.

Ces équations ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Les déclarations américaines au sujet de l’Ukraine ne diffèrent pas de celles à travers lesquelles Washington exprimait son soutien aux populations, allant de la Corée au Vietnam, en passant par l’Afghanistan et l’Irak, jusqu’à la Syrie, le Yémen, la Libye, le Liban et le Soudan, pour ne citer que ces pays.

Les équations politiques internationales de notre époque n’ont fait que générer davantage de catastrophes, en raison de l’instrumentalisation des États-Unis de la souffrance de ces peuples au profit de leurs propres intérêts, et d’une politique favorable à certains tyrans, qui servaient également leurs intérêts, notamment lorsqu’il était question de vendre des armes à ceux qui en feraient usage pour réprimer leur peuple ou s’attaquer au voisin le plus faible.

Comme nous faisons partie de cette catégorie de "voisins faibles", nous serons inévitablement frappés de plein fouet par les répercussions négatives de la guerre en Ukraine. Qu’il s’agisse d’une opération militaire éclair, ou d’une guerre d’usure, il ne fait pas de doute que la région, y compris le Liban, en sera affectée. Et pour cause: les pays dotés de capacités militaires, ayant des ambitions et des besoins, vont saisir ce moment-charnière pour réagir en fonction de leurs intérêts.

Pour l’heure, l’impact de tels événements sur des pays démunis tels que le nôtre reste inconnu compte tenu des changements dans le monde. C’est à croire que les valeurs et la civilisation qui ont forgé le monde nouveau dans lequel nous vivons sont arrivées à expiration, et qu’un produit plus moderne, en rupture avec le passé, est nécessaire pour jeter des bases politiques, sécuritaires et économiques adaptées aux besoins du moment.

C’est la raison pour laquelle les réactions du camp occidental à l’invasion russe de l’Ukraine varient entre une éventuelle mobilisation des troupes pour une intervention militaire sous la bannière de l’OTAN, et un attentisme impuissant à cause d’un refus de s’impliquer directement dans la guerre.

Les mêmes priorités prévalent dans le camp de l’Est, mais sur la base de calculs différents, les plus importants étant ceux qui nous impacteront directement, puisque nous gravitons dans l’orbite de ce camp et que nous souffrons de ses visées qui consistent à nous contrôler entièrement. Quoi qu’il advienne, notre région sera donc directement touchée par ce qui se passe en Ukraine, que le Conseil de sécurité se réunisse et décide d’un dispositif de sanctions à ajouter à celles en cours de préparation par l’Union européenne contre la Russie, qu’un droit de veto soit utilisé pour barrer la voie à des résolutions internationales, ou que la diplomatie internationale intervienne pour sauver ce qui pourrait encore l’être.

Elle sera touchée même si l’invasion russe s’accompagne d’une accélération de la signature de l’accord sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, alors que les pourparlers se trouvent à une étape décisive. A moins que les canons de Poutine n’occupent entièrement la communauté internationale et ne détournent son attention de Vienne, auquel cas les négociations seraient suspendues en attendant de nouvelles donnes sur lesquelles l’Iran pourrait miser.

Téhéran sait pertinemment tirer profit du chaos mondial pour améliorer sa position si les rapports de force internationaux venaient à changer. De ce fait, un flou non constructif risque de prévaloir dans les pays sous domination iranienne qui connaîtraient une aggravation de leurs crises, en l’absence de solutions immédiates ou de mesures qui permettraient de maintenir du moins le statu quo.

L’augmentation du prix du pétrole et du gaz se fera ressentir dans les pays du Moyen-Orient déjà exsangues en raison de l’absence d’institutions, de la corruption endémique et du monopole, comme c’est le cas pour le Liban et la Syrie, dont les problèmes auxquels leurs peuples respectifs sont confrontés risquent de s’accroître.

On dit que ce sont les petits qui paient le prix de la guerre des grands. Le Liban fait partie de ces petits pays qui ne peuvent pas supporter aujourd’hui une nouvelle aventure irréfléchie dans laquelle peuvent l’entraîner ceux qui comptent sur leur excédent de force et d’armes et qui nous exposeraient à une offensive israélienne. Israël sait d’ailleurs bien tirer profit du chaos mondial, lui aussi. Preuve en est, l’intensification de ses raids sur des cibles syriennes ainsi que la fréquence de son survol de l’espace aérien libanais, à basse altitude de surcroît. L’affaire du drone envoyé par le Hezbollah en Israël n’est pas forcément liée à cet étalage israélien de force.

Parce que personne ne se souciera des attaques dont nous serions la cible, ni du sort des législatives de mai qui se dérouleront à l’ombre des armes du Hezbollah et des risques de manipulation de leurs résultats pour que cette formation préserve  sa majorité parlementaire, ni de la capacité du Liban à négocier avec le Fonds monétaire international, ou à élire un nouveau président de la République, nous sombrerons  davantage face à l’indifférence de la communauté internationale vis-à-vis des répercussions de cette nouvelle guerre, qui retient toutes les attentions.

Le prix que nous paierons sera encore plus exorbitant, étant donné que nous sommes une carte marginale aux mains des forces qui nous contrôlent.

Mais on pourrait s’autoriser une pointe d’optimisme, si l’invasion de l’Ukraine aboutissait de nouveau à une victoire du camp occidental, à la défaite de la Russie, et subséquemment à l’affaiblissement de l’Iran et au maintien de la neutralité de la Chine qui sert ses intérêts. Peut-être qu’un tel scénario sera porteur de solutions.

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