La crainte d’un report des élections législatives, prévues le 15 mai 2022, n’est pas que libanaise. Dans les milieux diplomatiques occidentaux, on redoute cette éventualité qui risque de porter le coup de grâce à un système libanais défaillant et de pousser ainsi vers une Constituante, dont le timing est des plus inopportuns dans le contexte de crise locale et internationale actuel.

Dans les capitales directement concernées par la situation au Liban, notamment Paris et Washington, on met en garde contre tout report, alors que l’insistance du courant aouniste à vouloir établir des mégacentres dans la perspective du scrutin de mai – quitte à repousser la date des élections – fait planer des soupçons sur une volonté aouniste d’obtenir un report de cette échéance.
Les enjeux pour les uns et les autres ne sont pas les mêmes. Dans ces capitales, on considère qu’avec la guerre russo-ukrainienne, ses répercussions internationales et régionales et les pourparlers sur le nucléaire à Vienne, une chute du système libanais serait l’occasion rêvée pour ceux qui tireraient avantage d’une Constituante jetant les bases d’une nouvelle répartition du pouvoir, à l’avantage du duopole Amal-Hezbollah, et plus particulièrement de la formation pro-iranienne. Une chute de Taëf, qui est à la base de la Constitution libanaise, et le lancement de pourparlers autour d’un nouveau système de pouvoir ne peuvent être qu’à l’avantage d’un Hezbollah qui sait mettre ses armes au service de ses intérêts et qui entretient de la sorte le déséquilibre au niveau des forces et des pouvoirs politiques.

L’Occident continue ainsi de presser pour la tenue du scrutin dans les délais. C’est le discours qui est répercuté par ses ambassadeurs auprès des différents responsables politiques. Un discours associé cependant de mises en garde à peine voilées se rapportant à des sanctions indirectes si jamais le pouvoir, pour une raison quelconque, décide d’ajourner la date des élections à trois mois ou un an, conformément aux bruits qui courent à ce sujet. En gros, les chefs des missions diplomatiques, américain ou européens, ainsi que les visiteurs occidentaux du Liban ne cachent pas qu’un report pourrait faire perdre au Liban des aides substantielles, ainsi que le soutien du Fonds monétaire international (FMI) qui souhaite conclure avant les élections un accord avec le Liban sur un plan de sortie de crise.

Selon un homme politique proche de la banlieue sud de Beyrouth, des contacts seraient en cours entre la formation pro-iranienne et la cellule de crise sur le Liban, établie à l’Elysée, pour la tenue des législatives dans les délais. De même source, on indique que le Hezbollah réagit favorablement aux requêtes françaises, d’autant que les contacts s’inscrivent dans un cadre beaucoup plus large, qui s’étend aux négociations de Vienne sur le nucléaire entre l’Iran et les Etats-Unis.

Le fait que le chef d’Amal, Nabih Berry, se soit empressé de poser sa candidature à l’un des sièges chiites de Tyr-Zahrani (Liban-sud II) et que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ait annoncé récemment les noms de ses candidats, est ainsi à interpréter comme un signe de l’attachement des deux formations chiites à la tenue du scrutin dans les délais et de leur souci d’éloigner d’eux les soupçons sur une volonté de la torpiller.

Cette intention de torpillage est surtout attribuée au CPL, isolé politiquement et dont la popularité a sérieusement chuté au cours des dernières années et plus particulièrement depuis le soulèvement du 17 octobre 2019. Ce parti fondé par le président Michel Aoun, qui mène aujourd’hui un combat tardif pour l’établissement de mégacentres électoraux, a tout à gagner d’un report, d’autant que les pronostics fondés sur des sondages plus ou moins crédibles ne sont pas positifs à son égard. Sa popularité n’est plus la même, au niveau de la rue chrétienne, notamment dans le Mont-Liban. Un report lui permettra de maintenir son bloc parlementaire dans une Chambre qui doit élire le nouveau président de la République avant le 31 octobre prochain, et c’est là un avantage que le CPL, présidé par Gebran Bassil, ne voudrait pas perdre.

Mais c’est compter sans la détermination des forces rivales et de la société civile à s’opposer à toute tentative de report des élections. Selon des bruits qui courent, des blocs parlementaires pourraient démissionner et faire ainsi perdre sa légitimité à la Chambre pour pousser le gouvernement à organiser le scrutin sans tarder. Il s’agit notamment des blocs du PSP, du courant du Futur, des Forces libanaises et du bloc de Nabih Berry. Dans les milieux de ce dernier et dans ceux du président du Conseil, Najib Mikati, on continue d’insister sur le maintien de la date des élections, coûte que coûte, à cette nuance près: selon les berrystes, seul un incident de sécurité majeur pourrait justifier leur report.