La cabale contre les banques et l’arrestation de Raja Salamé, frère du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, intervenues la semaine dernière, ne sont pas des évènements ponctuels. Ils font partie d’une stratégie élaborée par le Mandat, visant à redorer son blason à la veille des législatives et à répondre aux attaques lui faisant assumer, seul, la responsabilité de la dégradation de la situation économique.

Ainsi, et après l’escalade de la campagne le visant ainsi que le Courant patriotique libre, le président de la République, Michel Aoun, semble vouloir retourner les accusations contre le secteur bancaire, quel qu’en soit le prix.

Pourtant, un compromis entre le chef de l’État et le Premier ministre, Najib Mikati, prévoyait, selon des sources politiques, que Riad Salamé demeurerait à son poste jusqu’à la fin de son mandat à la mi-2023. Le dossier ne devait être rouvert qu’après les législatives, afin que le gouvernement puisse les organiser calmement, et parvenir à un accord avec le Fonds monétaire international et avec les entreprises qui souhaitent investir dans l’électricité et le port. Selon le compromis, le gouvernement devait également pouvoir lancer le chantier d’exploitation des hydrocarbures offshore, après avoir terminé les négociations avec le médiateur américain Amos Hochstein, qui a remis aux responsables libanais une proposition écrite relative à la délimitation des frontières maritimes avec Israël.

Cependant, la reprise par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, la juge Ghada Aoun, de sa campagne à l’encontre des banques et de Riad Salamé indique la fin du compromis précité. Selon des sources informées, le président Aoun refuse de terminer son mandat avant d’avoir "déboulonné" Salamé, car il estime que le fait d’écarter ce "symbole de la période précédente", qu’il accuse d’être responsable de la crise financière, serait considéré comme une victoire et un exploit pour le chef de l’État et le CPL. Ils pourraient ainsi se dérober aux accusations livrées contre eux, et faire assumer à Salamé et aux banques toutes les responsabilités de la situation dramatique dans laquelle se débat le Liban.

Le secteur bancaire, selon les sources informées, est l’un des trois axes sur lesquels s’appuie la stratégie du mandat dans ses derniers mois, les deux autres étant la démarcation des frontières et le plan de l’électricité. Cette stratégie vise à renflouer la présidence et répondre à ce que les proches du chef de l’État appellent "la campagne de diffamation" contre lui et le chef du CPL, Gebran Bassil.

Devant ses visiteurs, le président Aoun souligne qu’il est déterminé à forcer les responsables à "rendre des comptes", et rappelle que certains groupes politiques "n’ont pas laissé" le mandat et le CPL effectuer des réformes alors que leurs textes de lois à cet effet " sont dans les tiroirs de la présidence du Parlement".

Le mandat souligne l’importance de l’audit juricomptable qu’il a imposé malgré les nombreux obstacles placés par les forces qui puisaient les ressources de l’État depuis trente ans, mais ajoute qu’il reste à écarter certains "symboles du système" pour que l’audit réussisse.

Selon des sources critiques à l’égard de la présidence, le Mandat a décidé de brandir le slogan de la "reddition des comptes" après avoir échoué à mettre en œuvre celui de "la réforme et du changement". Les poursuites judiciaires contre le secteur bancaire sont souvent entamées à la suite de dossiers remis par des "groupes" parfois obscurs. La juge Aoun a refusé toutes les demandes, même celles provenant d’autorités judiciaires, visant à lui retirer ce dossier, et a poursuivi sa cabale, bénéficiant de la "couverture" du Mandat. Et c’est ainsi que la justice s’est retrouvée divisée.

Les cercles aounistes estiment que cette stratégie a réussi à renflouer le Mandat, en retournant les attaques contre les banques et la Banque centrale. Pour sa part, le Hezbollah se réjouit de ce qui se passe et serait heureux de voir succéder à Riad Salamé un gouverneur qui adopterait une approche différente et respecterait moins les demandes américaines envers le secteur bancaire libanais.

Alors que les aounistes estiment que le Mandat est en train de reproduire l’expérience de Mohammed ben Salmane (MBS) en Arabie saoudite, qui avait détenu les cheikhs à l’hôtel Ritz pour restituer l’argent volé au trésor public, la question qui se pose est la suivante: les deux situations sont-elles comparables, et la démarche de Aoun vise-t-elle réellement à imposer la reddition des comptes?

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