Recep Tayyip Erdogan: un " sultan " qui poursuit une politique d’expansion néo-ottomane anti-occidentale ? Peut-être. Ce qui est sûr : c’est un dirigeant autocratique antikémaliste, incarnant l’islam politique turc du XXIᵉ siècle.

Son objectif principal est-il la résurrection d’un empire ? Peut-être. C’est surtout à des fins électorales qu’il utilise la scène internationale.

Voulant masquer les crises et dissidences internes, le président turc tente de consolider son projet " impérialiste ", tout en réveillant la nostalgie de la gloire ottomane. Mais sa tâche s’annonce plus risquée que jamais.

 

Une économie à bout de souffle

La conjoncture économique s’est considérablement détériorée en Turquie ces dernières années à cause de la politique monétaire désastreuse imposée par Erdogan. Le président fait fi des principes économiques de base et court-circuite les décisions des banquiers centraux turcs, dont il a licencié plusieurs à tour de bras.

Le président va ainsi à contre-courant en exigeant une baisse des taux d’intérêt directeurs en pleine période inflationniste. Cette politique fait plonger encore plus la livre turque face au dollar et à l’euro, réalimentant une aggravation de l’inflation. Un cercle vicieux qu’Erdogan a choisi d’ignorer, rejetant la faute sur les " comploteurs qui œuvrent contre l’intérêt de la nation ".

L’inflation et la dépréciation de la livre mène naturellement à une baisse du pouvoir d’achat et par suite à l’appauvrissement d’une tranche importante de la population. La correction des salaires ne fera qu’aggraver la situation, car elle alimente le même cercle vicieux. Une mesure populiste destinée à gagner des voix, mais dont le résultat est néfaste pour la consommation.

L’aventurier Erdogan a commencé sa carrière comme footballeur avant de passer en politique à travers ses penchants islamistes.

 

En décembre 2017, un dollar valait 3,91 livres turques. Aujourd’hui, un dollar vaut 18,63 livres: une dépréciation qui a presque quintuplé en l’espace de cinq ans. Seul avantage de la chute de la livre: les exportations deviennent plus compétitives grâce à un taux de change avantageux. Mais, à l’inverse, les importations renchérissent. Un problème majeur dans un pays qui dépend largement des sources d’énergie importées.

La crise économique constitue ainsi une menace principale pour le candidat Erdogan lors des élections du 18 juin prochain. Si son parti demeure favori dans les sondages, il n’obtiendrait qu’une majorité relative au Parlement, le contraignant de former une coalition avec les partis adverses. D’ores et déjà, les contestations se multiplient alors que prend forme une opposition solide et viable qui pourra menacer la stabilité d’un régime autoritaire.

Se rabattre sur la politique extérieure
Après des années de boycott à côté de son allié, le Qatar, Erdogan a fini par s’incliner devant les Saoudiens, en espérant recevoir des injections de liquidités dans une économie turque exsangue.

 

Pour redorer son blason, le président a choisi de faire oublier aux électeurs les crises internes. Il a naturellement trouvé refuge dans la politique étrangère. Erdogan s’est récemment imposé en tant qu’incontournable médiateur entre la Russie, l’Ukraine et le reste du monde en facilitant l’accord sur l’exportation du blé ukrainien.

Ce rôle lui a permis d’éviter d’adopter les sanctions contre la Russie, ce que ses " alliés " occidentaux lui ont enjoint de faire. Il a évité aussi, et surtout, de s’aliéner la Russie, premier fournisseur d’énergie. Et, par l’exportation de drones, au passage fabriqués par son gendre, il est resté en bons termes avec les Ukrainiens. Ce jeu d’équilibriste est d’ailleurs a enregistré à l’actif du président.

Le président Erdogan recevant, visiblement à contrecœur, son homologue israélien Isaac Herzog, à Ankara.

 

Parallèlement, Erdogan mène une offensive de charme auprès des pays du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, dans l’espoir d’attirer les investissements. Il s’est même réconcilié avec le président Abdel Fattah al-Sissi, afin de trouver un débouché aux produits turcs sur le marché égyptien.

Enfin, il a dû renouer avec un pays qu’il déteste, Israël, quitte à décevoir une partie de son électorat islamiste. Cette décision, prise à la hâte, survient alors que l’État hébreu annonçait un projet de gazoduc reliant le bassin levantin à l’Europe via Chypre et la Grèce.

Les politiques précitées ont le potentiel d’offrir à l’économie turque une bouffée d’oxygène, mais leurs effets tardent à se faire sentir. La démarche porte en elle, par ailleurs, le danger d’une dépendance envers les autres économies régionales jugées instables, alors que les portes de l’Europe sont ouvertes à la coopération. Pourvu que la Turquie se comporte comme un pays démocratique et moderne, respectueux des droits de l’homme.

Le nationalisme, opium du peuple turc
Poutine, Raïssi et Erdogan: avec deux pays, l’Iran et la Russie, frappés de sanctions internationales, le choix du président turc risque de faire de son pays une des composantes d’un trio de perdants.

 

Finalement, Recep Tayyip Erdogan passe à la vitesse supérieure en adoptant une politique aux bienfaits assurés: celle de la fermeté face aux ennemis externes. Depuis les années 1950, les dirigeants turcs n’ont cessé de titiller la fibre nationaliste de leurs administrés dès qu’ils ont besoin d’avantages électoraux.

Le président a ainsi multiplié ces derniers temps les déclarations hostiles à l’égard du PKK. Prétextant un attentat aux origines obscures à Istanbul, en novembre, Erdogan décide de lancer une opération militaire au nord de la Syrie en représailles. Cette " invasion " du nord syrien est une aventure très risquée, car elle a déjà montré son inefficacité et contribué à rendre ses alliés occidentaux très méfiants à son égard.

Otan ou pas, Erdogan continue à jouer au trublion parmi les Occidentaux.

 

À la tête de ces alliés se trouvent les Américains, qui disposent de bases en Syrie et qui entretiennent des alliances avec les factions kurdes afin de contrer la menace de Daech. Quand on sait que l’Amérique est l’un des principaux fournisseurs d’armes à la Turquie, on mesure la gravité de la situation. On comprend également pourquoi Washington refuse toujours de fournir à Ankara sa part du projet F-35, un avion de chasse à la pointe de la technologie.

D’ici aux prochaines élections de juin 2023, Erdogan ne fera sans doute qu’intensifier ses provocations envers les puissances occidentales et de poursuivre sa politique belliqueuse avec ses voisins. Reste à savoir si l’écartèlement de sa politique extérieure et ses projets islamo-ottomanistes seront bénéfiques pour les destinées de son pays. Un regard furtif sur les leçons de l’Histoire suffira à répondre par la négative.