Depuis le début de la " révolution Amini " en Iran, l’opposition kurde iranienne réfugiée au Kurdistan irakien est régulièrement bombardée par Téhéran. Alors que ces groupes ont troqué l’action armée pour le militantisme politique, leur cause est de nouveau au cœur des manifestations.

Avec les manifestations qui secouent l’Iran depuis plus de deux mois, Téhéran a intensifié ses bombardements contre ces groupes. Installées en Irak depuis les années 1980, avec la bénédiction de Saddam Hussein en pleine guerre avec le voisin iranien, les factions kurdes iraniennes sont qualifiées de " terroristes " et " séparatistes " par l’Iran qui les accuse d’attaquer les forces iraniennes.

 

" Iran fédéral "

Après des décennies d’insurrection armée, ces mouvements limitent drastiquement leurs activités militaires. Mais ils disposent de combattants, qui s’entraînent au maniement des armes sur des bases dans les montagnes du Kurdistan d’Irak (nord). Très à gauche politiquement, encourageant les valeurs féministes, ces mouvements se présentent souvent comme des partis sociaux-démocrates.

Plus ancien parti kurde d’Iran fondé en 1945, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) assure ne pas utiliser le territoire irakien pour lancer des attaques contre les forces iraniennes, disant avoir installé en Irak la direction et l’appareil bureaucratique du groupe. " Le PDKI lutte pour concrétiser les droits nationaux des Kurdes au sein d’un Iran fédéral et démocratique ", indique son site Internet.

L’autre grande formation kurde est le Parti Komala du Kurdistan d’Iran, fondé à l’automne 1969 par des étudiants et des intellectuels à Téhéran et dans des villes kurdes. Parmi les factions visées par les derniers bombardements de Téhéran, on compte le Parti de la liberté du Kurdistan (PAK). Ses combattants ont participé aux batailles contre le groupe État islamique (EI).

 

Un Peshmerga kurde iranien membre du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) inspecte les dégâts au siège du parti suite à une attaque transfrontalière iranienne dans la ville de Koye (Koysinjaq). (AFP)
" Ne pas militariser la contestation "

L’Irak accueille aussi le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK), affilié aux rebelles kurdes turcs du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Un fragile cessez-le-feu dès 2011 n’a pas empêché des accrochages sporadiques avec les forces iraniennes. Ces groupes apportent leur soutien aux manifestations qui secouent l’Iran depuis la mort le 16 septembre de la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini. Sur les réseaux sociaux, ils partagent des vidéos de la mobilisation et relaient les appels à des grèves générales.

" Avant la contestation, il y avait des allers-retours permanents des deux côtés de la frontière ", reconnaît Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (Cfri). Quand ces factions " voulaient mener des actions militaires ", elles envoyaient " par la frontière des micro-groupes ". Aujourd’hui " le PDKI et le Komala font tout pour ne pas militariser la contestation ", qui serait instrumentalisée par Téhéran pour " justifier " la répression, dit-il.

Plus généralement ces groupes dénoncent les discriminations dont souffrent la minorité kurde iranienne dont la population s’élève à environ 10 millions sur un total de 83 millions. Ils fustigent l’absence de représentation politique au niveau de la gouvernance locale et l’absence de développement économique dans les régions Kurdes. Il y a aussi l’interdiction d’enseigner leur langue dans les écoles.

" Un bouc émissaire "

Le Kurdistan d’Irak ne doit pas " être un lieu de transit de matériel et d’armes pour être utilisés dans des troubles ", assurait récemment le porte-parole de la diplomatie iranienne, Nasser Kanani. Les responsables à Téhéran accusent ces mouvements de participer aux " émeutes ", en allusion aux manifestations, et de s’infiltrer en Iran pour mener des attaques.

" L’Iran cherche un bouc émissaire ", résume l’analyste Fabrice Balanche. " Les Iraniens veulent montrer que les manifestations sont manipulées par l’extérieur ". Depuis les années 1990, une entente entre factions iraniennes et Kurdistan d’Irak protège leur présence, en échange de quoi elles n’engagent pas d’activités militaires pour éviter de compromettre les rapports avec Téhéran.

Des deux côtés de la frontière on parle le même dialecte sorani et nombreux sont ceux qui comptent des parents dans les deux pays. Des travailleurs journaliers iraniens traversent quotidiennement la frontière, pour trouver en Irak un emploi mieux payé que dans leur pays. Massoud Barzani, architecte du Kurdistan irakien, est même né dans le premier " Etat kurde " apparu en Iran en 1946: son père avait rallié l’éphémère République de Mahabad, finalement écrasée par les troupes iraniennes.

Maxime Pluvinet avec AFP