Est contre Ouest: depuis la chute du régime Kadhafi en 2011, la Libye est en proie à des luttes politiques exacerbées par les ingérences étrangères. Dernier coup d’éclat, le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, un homme de l’ouest, de la tripolitaine, à la tête d’un gouvernement reconnu par l’Onu a échappé jeudi à une tentative d’assassinat, alors qu’à l’Est, le Parlement a désigné un autre Premier ministre, Fathi Bachagha à la tête d’un autre gouvernement. La Libye, qui espérait enfin voir le bout du tunnel, se trouve une fois de plus dans en proie à une aggravation de son instabilité politique et sécuritaire.

Le gouvernement Dbeibah a été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, prévues en décembre dernier avant d’être reportées sine die. (AFP)
Dans ce qui s’apparente à un coup de force institutionnel du camp de l’Est libyen contre celui de Tripoli, le Parlement siégeant à Tobrouk a désigné l’influent ex-ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha pour remplacer Abdelhamid Dbeibah à la tête du gouvernement intérimaire. Or, M. Dbeibah, anticipant ce vote, a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne céderait le pouvoir qu’à un gouvernement sorti des urnes. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des tirs ont visé le convoi de M. Dbeibah à Tripoli, a affirmé le ministère de l’Intérieur. L’attaque armée, menée par des inconnus, " n’a pas fait de victimes ", selon le ministère, qui a annoncé l’ouverture d’une enquête sur cet " acte criminel ".

Après des années de conflits armés et de divisions, le gouvernement Dbeibah a été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, prévues en décembre dernier avant d’être reportées sine die. Ce report avait été décidé sur fond de désaccords persistants entre un pouvoir à l’Est, incarné par le Parlement et le maréchal Haftar, et un autre à l’Ouest, autour du gouvernement de Tripoli et du Haut Conseil d’Etat.

Alors que ce report se profilait, M. Bachagha –l’un des candidats le plus en vue de l’Ouest libyen à la présidentielle– s’était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi. Il y avait rencontré le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen et chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL). L’ANL a d’ailleurs salué jeudi la désignation de M. Bachagha comme Premier ministre et affirmé " soutenir la décision du Parlement ". Le Parlement, qui estime que le mandat de M. Dbeibah a expiré avec le report des élections, avait retenu deux prétendants pour le remplacer: M. Bachagha, 59 ans et l’outsider Khaled Al-Bibass, un ancien haut fonctionnaire au même ministère.

Avant de faire procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh, l’un des principaux rivaux du gouvernement Dbeibah, a affirmé que M. Bibass avait retiré sa candidature, laissant M. Bachagha seul en lice. Cité par des médias libyens, M. Bibass a démenti avoir retiré sa candidature. MM. Bachagha et Dbeibah, tous deux originaires de l’ouest du pays, disposent chacun du soutien de groupes armés en Tripolitaine. " Je n’accepterai aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle ", a averti M. Dbeibah mardi dans un discours télévisé, affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu’à " un gouvernement élu ". L’ONU a fait savoir par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric qu’elle continuerait de soutenir M. Dbeibah. Dans un communiqué conjoint publié fin décembre après le report des élections, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie avaient apporté leur soutien à la poursuite du mandat de l’exécutif actuel jusqu’à la tenue effective des scrutins.

Au début de la séance à Tobrouk, le Parlement a aussi voté pour prolonger de 14 mois son mandat, qui a théoriquement expiré en décembre. La Chambre des représentants est considérée comme la chasse gardée de son président Aguila Saleh, un cacique de l’Est. M. Saleh est accusé d’avoir enfreint toutes les procédures pour faire nommer M. Bachagha. Il avait déjà été accusé d’avoir fait dérailler le processus politique, en promulguant en septembre, sans vote, une loi électorale controversée et taillée sur mesure pour son allié Khalifa Haftar, qui était lui aussi candidat à la présidentielle.

" Nombreux voient les événements d’aujourd’hui en Libye –où un nouveau Premier ministre a été fabriqué pour tenter de consolider certaines factions politiques– comme un fait accompli ", a commenté du Twitter Tarek Megrisi, analyste au Conseil européen des relations internationales. " Il s’agit en fait d’un jeu de confiance qui se déroule depuis déjà un certain temps et qui a pour seul but de dévoyer les efforts en faveur du processus électoral. "

Avec AFP