Réflexe quasi pavlovien pour certains, la rhétorique anti-US se fait à nouveau entendre, tous courants politiques confondus. Avec pour résultat les faveurs de Moscou pour ceux qui prônent ce type de discours…

Si de nombreuses voix se font entendre pour soutenir l’Ukraine à l’unisson, d’autres revendiquent un non-alignement alors que la Russie envahit son voisin ukrainien. En temps de conflit, la rhétorique que nous appellerons " anti-américaine " est une constance, tant à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, mais également au-delà de ces courants politiques. L’Ukraine n’y a pas échappé. Pour certains, cette posture devient un réflexe quasi pavlovien pour se positionner. La convergence de mouvements politiques que tout semble opposer s’observe dans leur approche en matière de politique étrangère, ici hostile aux Etats-Unis. Des mouvements classés à gauche mettent en avant un militantisme " anti-guerre ". Sur l’Ukraine, si certains politiques balaient devant leur porte et tentent de faire oublier leur tropisme pro-russe, notamment en France, à quelques semaines de l’élection présidentielle, d’autres personnalités en Europe et ailleurs n’hésitent pas à revenir aux fondamentaux.

Régulièrement remis sur le tapis, le passif américain de 2003 en Irak est l’un des justificatifs revenant le plus souvent au sein des sphères hostiles à la politique américaine – tous courants confondus – pour justifier ou minimiser les actes de régimes autoritaires en guerre.

S’il était tout à fait louable de s’opposer à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 sous de faux prétextes, le scénario ukrainien ne subit aucune comparaison valable. Que ce soit dans l’opinion publique ou au sein de certains partis politiques européens, ce rapprochement est encore fait jusqu’à aujourd’hui. Un narratif d’apparence " pacifiste " est diffusé pour justifier un positionnement " neutre " qui profite in fine au camp russe. Pourquoi ? Parce que l’argumentaire russe, pour justifier sa guerre, n’hésite pas à invoquer la parole du " camp d’en face ", comme cela a été démontré en direct sur la principale télévision russe. Le célèbre animateur de Fox News, Tucker Carlson, a été plébiscité par le régime Poutine pour sa couverture de l’invasion de l’Ukraine. De même que le politologue John Mearsheimer, dont les analyses sont partagées par le ministère des Affaires étrangères russe. Les deux personnalités reprennent le narratif propagé dès le départ par Moscou. Au regard de la situation ukrainienne, l’invasion de l’Ukraine aurait été déclenchée par l’hostilité de l’Otan sous la coupe des Etats-Unis, la Russie ne faisant dès lors que " répondre " à des provocations " américaines ". L’expansion de l’OTAN, le bataillon néonazi Azov et les révolutions de couleur de 2004 pour un changement de régime constituent trois des principaux " marqueurs " pour faire diversion – la technique éprouvée du whataboutism – et donner du crédit au régime de Poutine.

Le cas britannique : Corbyn

Ce positionnement contre une politique qui serait favorable à Washington n’est en fait pas neuf. La récente mobilisation du groupement britannique Stop the War Coalition relève plus de l’agitprop faussement anti-guerre que d’un réel engagement contre la guerre pour sauver des vies ukrainiennes. Pour preuve, ce même groupe appelait le gouvernement britannique à une intervention militaire conjointe avec la Russie et le régime Assad en Syrie, en 2015. " Au mieux, ils sont naïfs ; au pire, ils viennent activement au secours des dirigeants autoritaires qui menacent directement les démocraties ", dénonçait ainsi Keir Starmer, actuel leader du Parti travailliste (Labour) le 10 février dernier, dans les colonnes du Guardian. En succédant au controversé Jeremy Corbyn, Starmer s’est distancié de la politique " anti-impérialiste " affichée sans ambages par son prédécesseur. Si Corbyn prenait déjà la défense des positions de Stop the War Coalition en 2015, il réitère ici encore au vu de l’actualité ukrainienne, comme l’explique The Spectator dans une tribune acerbe intitulée " Corbyn sides with Russia (again) ".

La résolution votée par le Parlement européen pour condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie a recueilli 637 votes favorables des eurodéputés, et 13 contre. Mick Wallace, élu d’extrême gauche, a expliqué à Euronews avoir voté contre en raison du renforcement de l’OTAN et du remplacement du pétrole russe par du pétrole américain. " Nous sommes opposés à la guerre, et nous sommes opposés à cette résolution" , s’est ainsi exprimé M. Wallace. Özlem Demirel, eurodéputée allemande du parti Die Linke (gauche) accuse Ursula von der Leyen qui aurait des ambitions plus larges, de transformer l’Union européenne " en une union militaire tangible et puissante" . Quant à Miguel Urbán Crespo du parti Podemos (extrême gauche populiste espagnole), il précise : " Face à deux géants qui mettent sur la table de plus en plus d’armes, de missiles et qui commencent à menacer avec des armes nucléaires, la seule issue est d’exiger de prendre toutes les voies de la paix ".

Le raisonnement fallacieux de ces trois eurodéputés met à équidistance l’armée américaine et l’armée russe, qui est, faut-il le rappeler, engagé dans une invasion militaire d’un pays souverain, l’Ukraine. Cet argumentaire qui " priorise la paix " et " ne veut pas mettre de l’huile sur le feu " fait fi justement de la guerre qui a déjà commencé, enclenchée par la Russie contre l’Ukraine. Enfin, là aussi, la stratégie du whataboutism est à nouveau utilisée pour faire la lumière sur de supposées dérives de l’UE, de l’Otan et des États-Unis. Au final, ce que dit cette politique étrangère anti-US démontre une propension à se positionner de manière automatique du côté des dictatures et des régimes autoritaires sans en avoir l’air, ce qui est troublant sinon problématique à plusieurs égards, alors qu’un pays européen est agressé par un régime dirigé par un dictateur en roue libre.

Tropisme russe en France

Au moment où le président Zelensky a annoncé suspendre 11 partis politiques liés à la Russie, d’autres pays démocratiques européens devraient peut-être s’inspirer de cet acte fort, après avoir banni des ondes européennes les organes de propagande russe RT et Sputnik, financés intégralement par le Kremlin. Rappelons que la campagne du Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen avait été financé par un prêt russe, en 2017. Elle avait rencontré le maître du Kremlin et posé devant les caméras par la même occasion. Imprimés avant l’invasion russe, les tracts de campagne de Le Pen comprenant la fameuse poignée de mains entre la cheffe du RN et Poutine ont suscité des remous. Autre candidat classé à l’extrême droite, Eric Zemmour du parti Reconquête! avait déclaré " J’admire Poutine " et rêvait alors " d’un Poutine français ". Depuis l’invasion russe, celui-ci le qualifie de " démocrate autoritaire ". Quant au candidat du parti populiste de gauche La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, il n’a pas tari d’éloge pour Vladimir Poutine ces dernières années, comme en témoigne une vidéo compilant ses sorties médiatiques. Durant ces dix dernières années, Jean-Luc Mélenchon a entre autres dit que " Poutine faisait du bon boulot en Syrie " aux côtés de Bachar Al-Assad ; en 2014, celui-ci déclarait cyniquement, au moment où la Russie annexait la Crimée appartenant à l’Ukraine : " Le méchant monsieur Poutine d’un côté et le très gentil gouvernement de Kiev composé de gens aussi féroces que l’on peut l’imaginer (…) composé de néonazis pour une partie d’entre eux ". En 2017, il déclarait " ce n’est pas vrai que la Russie est une menace pour la paix du monde. Enfin, le 10 février 2022, il déclare : " Les États-Unis d’Amérique n’ont pas à annexer l’Ukraine dans l’Otan ", soit quinze jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Si le tropisme russe de personnalités issues du monde politique et médiatique pouvait être perçu comme acceptable jusqu’il y a peu, l’invasion de l’Ukraine risque de changer durablement la donne en Europe et dans le monde occidental.

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !