Après l’énergie solaire, voilà que depuis quelques années l’hydrogène vert est présenté comme une solution propre aux besoins énergétiques mondiaux. Début septembre, l’Union européenne avait d’ailleurs annoncé sa volonté de débloquer jusqu’à 3 milliards d’euros pour son développement. "Ici Beyrouth" vous dit tout sur ses particularités et sur sa possible application au contexte libanais.

Depuis quelques années, il est dans toutes les bouches. Notamment en Europe, où on le voit comme une potentielle solution propre aux besoins énergétiques, malgré encore des difficultés logistiques et d’installation. Au Liban également, il pourrait permettre la production continue d’une électricité décarbonée (qui ne produit pas de dioxyde de carbone) et à moindre coût. Lui, c’est l’hydrogène. Mais qu’est-ce que l’hydrogène?

Élément le plus commun de tout l’univers, le "H" n’existe cependant que de manière extrêmement marginale à l’état naturel sur Terre. Il est alors nécessaire de le produire à partir d’hydrocarbures ou d’énergies renouvelables.

Hydrogène gris, bleu, vert…

Il existe trois types d’hydrogène: l’hydrogène gris carboné, l’hydrogène bleu et l’hydrogène vert, décarboné et issu d’énergie renouvelable. Le premier représente à l’heure actuelle 95% de l’hydrogène produit à l’échelle mondiale. Il est créé à partir d’hydrocarbures comme le pétrole, le charbon et le gaz. Le second est issu de l’électrolyse, c’est-à-dire la décomposition de l’eau en oxygène et hydrogène. Pour ce faire, on utilise de l’électricité. Selon les pays, celle-ci est carbonée ou pas. En France par exemple, l’électricité utilisée provient du nucléaire: pas d’émissions de carbones, mais des déchets difficiles à traiter. Enfin, l’hydrogène vert est produit grâce à une électricité renouvelable, c’est-à-dire via des panneaux solaires, ou encore des éoliennes.

Comme l’électricité, l’hydrogène est un vecteur d’énergie, dans le sens où il permet la production de courant électrique. D’où son intérêt, notamment quand il est décarboné. "Il n’a aucun impact environnemental et peut facilement être utilisé pour les industries et les transports", indique à Ici Beyrouth le professeur Daniel Hissel, vice-président de l’Université française de Franche-Comté et directeur-adjoint de la fédération hydrogène du CNRS. "Un kilo d’hydrogène permet par exemple à une voiture de catégorie moyenne de rouler 100 km. Pour l’instant, un kilo d’hydrogène décarboné coûte environ 10 euros, mais selon plusieurs projections, il pourrait baisser prochainement à 5 euros. Avec l’explosion des prix des carburants fossiles, cela deviendrait vraiment intéressant."

Intérêt énergétique

L’hydrogène est également plus dense que les carburants conventionnels. Un kilo représente 33 kWh d’énergie, alors qu’un litre d’essence, par exemple, n’en vaut que 12 kWh. Mais cela a un coût. Il faut entre 50kWh et 70kWh d’électricité pour produire un kilo d’hydrogène. "C’est beaucoup, surtout si on veut le produire de façon massive, estime Daniel Hissel. "Si on fait un peu de politique fiction, dans le cas où toute la mobilité française passait à l’hydrogène décarboné (bus, trains, camions et voitures), il faudrait augmenter la production électrique actuelle de 80%, soit doubler l’activité nucléaire! Notez bien qu’il n’y a pas forcément intérêt de l’appliquer à tous les secteurs considérés", ajoute-t-il.

Il faut également 9 litres d’eau pour chaque kilo d’hydrogène produit. Celle-ci peut cependant être récupérée. En effet, à l’utilisation dans une pile à hydrogène, ces 9 litres d’eau sont à nouveau produits. "L’eau n’est pas perdue, seulement déplacée entre le lieu de production et celui d’utilisation, explique le responsable. Cela peut néanmoins être problématique si le pays de production subit des sécheresses alors que le pays utilisateur non."

Un intérêt grandissant

Depuis cinq bonnes années, le scientifique français constate un gain d’intérêt notable pour l’hydrogène vert, notamment en Europe. "En vingt ans, la durée de vie des piles à hydrogène a été multipliée par cinquante, tandis que leur taille a été divisée par cinquante, constate-t-il. Il faut aussi noter les prises de conscience écologique et environnementale de nos sociétés, qui créent une demande grandissante pour ce type de technologies. Il nous reste encore à améliorer l’efficacité énergétique tout en réduisant les coûts de production. Mais aujourd’hui, les conditions sont réunies pour développer un marché pérenne."

Dans des pays comme la France ou l’Allemagne, l’intérêt va désormais au développement de l’hydrogène vert, à la multiplication de son utilisation dans l’industrie et les transports, à l’image de ce qui se fait pour les stations de recharge électrique. Si, pour l’instant, il n’est pas encore intéressant d’installer de telles équipements pour des véhicules personnels, le cas est l’inverse pour les transports en commun. À Pau (sud de la France) par exemple, les bus à hydrogène se démocratisent avec le temps. D’où l’intérêt de les doter d’installations de recharge adéquates. "Au niveau mondial, l’hydrogène ne représente pour l’instant que 1% des échanges énergétiques, soit presque rien, faite remarquer Daniel Hissel. En 2050, cela pourrait monter à 18%. L’évolution est exponentielle. L’enjeu, c’est désormais de produire massivement et de manière décarbonée. Ensuite, on pourra convaincre les utilisateurs. Plus on produit, plus on peut décliner les utilisations."

Une solution idéale pour le Liban

Et au Liban? À l’heure actuelle, l’utilisation de l’hydrogène est quasi inexistante. Pourtant, le pays du Cèdre, qui subit des pénuries d’électricité telles qu’il finira bientôt dans le noir, pourrait grandement en bénéficier, notamment dans sa version décarbonée. "Nous sommes en discussion avec une entreprise française du secteur qui pourrait proposer une solution parfaite: des générateurs hybrides solaire/hydrogène", indique un expert libanais des énergies renouvelables souhaitant garder l’anonymat.

En journée, l’énergie solaire est captée grâce aux panneaux photovoltaïques et le surplus est stocké dans les piles à hydrogène pour servir la nuit. "Cela permet une distribution d’une électricité stable 24 heures sur 24 heures, ce que le 100% solaire, même avec batteries, ne peut pas toujours promettre", souligne l’expert.

Autre avantage, le prix. Le kWh couterait entre 10 et 12 centimes de dollars. Avant de devoir arrêter ses vétustes centrales faute de carburant, le fournisseur public Électricité du Liban produisait son électricité pour un coût supérieur à 18 centimes le kWh.

Un usage collectif

Seul inconvénient, les installations demandent de la place et ne sont donc pas adaptées à des usages personnels. "De toute manière, pour être compétitif, il faut construire des centrales d’au moins 10 MW, c’est-à-dire de quoi alimenter en continu quatre ou cinq villages, selon l’expert. Ce type de projets est vraiment adapté aux pays qui ont des problèmes de distribution, comme le Liban. Ils peuvent également être réalisés de façon décentralisée, c’est-à-dire non connectée au réseau central. Donc, il n’y a pas besoin de rénover ce dernier."

Selon l’expert, un plan aurait été présenté au gouvernement libanais, en partenariat avec l’entreprise française précédemment citée.  Cette dernière propose d’installer, avec ses fonds propres, des centrales pour alimenter plusieurs villages. L’État paierait alors simplement la production électrique à un tarif compris entre 10 et 12 centimes le kWh.

"La réponse du gouvernement a été plus que froide. Ce qui n’est pas étonnant, beaucoup n’ayant pas intérêt à ce que le Liban se détourne des énergies fossiles. À chaque fois, on nous sort les mêmes excuses: le pays n’a pas les terrains nécessaires pour ce genre d’installations, il faut rénover le réseau, etc. Mais dès qu’on propose des solutions, c’est le silence radio en face", se désespère l’expert.