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Le mois de mai, consacré à une dévotion particulière envers la Vierge Marie dans l’Église catholique, touche à sa fin. L’occasion propice de revisiter les différents Ave Maria qui ont marqué l’histoire de la musique d’art occidentale. Le premier volet de cet article s’intéresse aux époques musicales anciennes, de la période médiévale à l’époque baroque en passant par la Renaissance.

L’Ave Maria – c’est-à-dire "Je vous salue Marie", en latin – est une prière emblématique dans la tradition chrétienne, souvent récitée ou chantée comme un acte de dévotion mariale. Bien qu’elle soit traditionnellement associée à l’Église catholique, elle occupe également une place primordiale dans les rituels liturgiques de l’Église orthodoxe. La version et la langue utilisées par cette dernière sont toutefois différentes. L’Ave Maria reste, néanmoins, peu répandu chez les protestants qui prônent un face-à-face direct avec Dieu. Ils rejettent, de ce fait, toute forme d’intercession de la Vierge Marie ou des saints, la considérant comme une forme d’idolâtrie. Cependant, il convient de noter que certains anglicans, luthériens et autres mouvement protestants incluent cette prière dans leur culte.

Origines et composantes

Chez les catholiques, l’Ave Maria est formé de trois parties dont deux puisent leurs origines dans des versets bibliques. La première partie de la prière reprend les paroles de l’archange Gabriel lors de l’Annonciation (Luc 1:28): "Je vous salue, Marie, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous." La deuxième partie est tirée de la salutation d’Élisabeth (mère de saint Jean le Baptiste), remplie d’Esprit Saint, à Marie lors de la Visitation (Luc 1:42): "Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et, Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni". Ajoutée ultérieurement, la troisième et dernière partie ("Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort") est une supplique qui n’est pas basée sur les Écritures. On estime que celle-ci a émergé et a été transmise oralement sous diverses formes au quinzième siècle, avant d’être formalisée avec la publication du Bréviaire romain par le pape Pie V (1504-1572) en 1568. Ce recueil liturgique de l’Église catholique renferme l’ensemble des prières, psaumes, hymnes, lectures bibliques et autres textes utilisés pour la liturgie des Heures.

Premières adaptations musicales

Les premières adaptations musicales de l’Ave Maria remontent à l’époque médiévale. À titre d’exemple, l’antiphonaire de Hartker, un recueil liturgique catholique datant du dixième siècle et contenant des partitions grégoriennes, renferme une antienne (un verset chanté ou récité, généralement de courte durée et répété à des moments spécifiques pendant les offices religieux) qui met en musique le premier segment de l’Ave Maria, suivi de l’Alléluia. Les textes chantés à cette époque étaient très hétéroclites et différaient de la version adoptée en 1568.

Durant la période de la Renaissance, plusieurs compositeurs ont écrit des pièces polyphoniques vocales, souvent pour quatre ou cinq voix mixtes a capella, connues sous le nom de motets, basées sur le texte de l’Ave Maria. Josquin des Prez (vers 1450 – 1521), Giovanni Pierluigi da Palestrina (1524/5 – 1594), William Byrd (1543-1623) et Tomás Luis de Victoria (1548-1611) en étaient parmi les plus illustres. Les Ave Maria composés par ces derniers mettent magnifiquement en œuvre le principe de l’imitation contrapuntique: un motif mélodique est d’abord introduit par une voix, puis repris successivement par les autres voix. Ce procédé génère une architecture polyphonique complexe et enchevêtrée qui constitue un retournement complet des principes du plain-chant médiéval.

Dans la vidéo ci-dessous, l’ensemble vocal britannique Stile Antico, spécialisé dans la musique polyphonique ancienne, interprète l’Ave Maria de William Byrd. Cette composition met particulièrement en exergue des lignes mélodiques fluides et chantantes, ornées de mélismes, et un jeu de couleurs harmoniques caractéristique de l’esthétique polyphonique raffinée de la période de la Renaissance.

Pastiche musical

L’Ave Maria attribué à Giulio Caccini (1551-1618) est incontestablement l’une des pièces les plus célèbres du répertoire musical catholique. Le compositeur italien demeure largement (re)connu du grand public pour cette œuvre. Un Ave Maria qu’il n’aurait manifestement jamais composé. En vérité, cette composition est un pastiche créé, en 1970, par un guitariste et compositeur soviétique, nommé Vladimir Vavilov (1925-1970). Curieusement, celui-ci aurait choisi de signer sa pièce sous l’attribution de "compositeur anonyme". Un choix qui suscite des interrogations quant aux raisons de son attribution ultérieure à Caccini. En fait, l’Ave Maria de Vavilov est totalement étranger au style de composition du musicien florentin ainsi qu’à celui de son époque. Toutefois, la puissance émotionnelle inhérente à l’Ave Maria dit de Caccini semble avoir contribué à accroître sa renommée au fil des années.