Non seulement l’ukrainien est une langue rare, mais le manque traducteurs en français rend la publication difficile pour les éditeurs. D’autant plus que lesdits traducteurs ont à faire face à des urgences qui priment sur les la publication de livres. Néanmoins, deux ouvrages sur deux héros d’Ukraine paraissent en librairie, grâce à des éditeurs français (et pas des moindres !) qui ont trouvé le moyen de contourner cette difficulté.

Poète national, chantre de l’indépendance d’une Ukraine intégrée dans l’Empire russe, Taras Chevtchenko (1814-1861) avait bénéficié, par chance, d’une traduction dans les années 1960.

C’est celle-ci qu’ont reprise, et amendée, les éditions Seghers pour composer le recueil Notre âme ne peut pas mourir, sorti le 5 mai.

Quant au héros de l’indépendance face à l’invasion russe de 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour son recueil de discours Pour l’Ukraine à paraître mercredi aux éditions Grasset, il est traduit… depuis l’anglais.

" L’idée de publier ce livre m’est venue début mars. Des représentants de la présidence ukrainienne m’ont donné leur accord, et le texte officiel en version anglaise ", explique l’éditeur Charles Dantzig.

Outre de pouvoir établir rapidement le texte français, Grasset, grande maison d’édition parisienne, y a vu son avantage. Le recueil, le premier du genre dans le monde, devient ainsi très facile à traduire dans quelque langue que ce soit, puisque le problème de la pénurie de traducteurs de l’ukrainien se pose partout.

Les éditeurs étrangers achètent l’édition française

" Comme c’est une édition de référence, avec le texte officiel des discours, des présentations et des annotations, plusieurs éditeurs étrangers achètent notre édition qu’ils vont publier ", ajoute Charles Dantzig.

Pour l’Ukraine, dans toutes les langues y compris le français, est un livre à but non lucratif. Les bénéfices en France iront au comité de coordination d’aide à l’Ukraine de l’ambassade à Paris.

Même chose pour Notre âme ne peut pas mourir de Chevtchenko. Comme le précise le bandeau, " les bénéfices de la vente de l’ouvrage seront reversés intégralement à l’AMC France-Ukraine ", une association caritative.

" La difficulté de faire un tel livre, ce sont les conditions d’urgence ", souligne  l’éditrice, Anne Dieusaert. " Mais nous voulions que le travail soit bien fait, et donc relire avec soin la traduction de 1964 ".

Elle est signée à l’époque Eugène Guillevic, poète communiste qui traduisit des auteurs de pays du Bloc de l’Est… sans parler leur langue, y compris l’ukrainien.

" C’est plus courant qu’on ne le pense, surtout en poésie, et dans les langues rares. On constitue un tandem entre un interprète, qui transcrit mot à mot, et un traducteur qui réalise ce qu’on appellerait aujourd’hui de la traduction créative, c’est-à-dire une adaptation ", commente l’éditrice.

Une littérature majeure et totalement inconnue

" Le travail de Guillevic était de grande qualité. Il fallait reprendre tout ce qui avait un peu vieilli, les codes n’étant plus les mêmes que dans les années 60. On a supprimé des guillemets, des capitales, pour aller vers une certaine épure dans la présentation ", poursuit-elle.

Au temps de l’Union soviétique, le recueil avait bénéficié du soutien financier du PCF, comme le rappelle en avant-propos le traducteur russisant André Markowicz. Chevtchenko était en effet un persécuté du tsarisme, exilé et interdit d’écrire par Nicolas Ier.

" Il aura fallu (…) la guerre lancée par le régime sanguinaire de Poutine pour qu’on se rende compte en France de l’existence, à nos portes, d’une littérature majeure et totalement inconnue ", écrit-il.

Le seul écrivain ukrainien véritablement lu en France depuis un demi-siècle, Andreï Kourkov, écrit en effet en langue russe.

Autre éditeur qui a travaillé dans l’urgence, Plon ajoute à sa collection des Dictionnaires amoureux un volume sur l’Ukraine, à paraître jeudi. Son autrice, la violoniste et universitaire Tetiana Andrushchuk, puits de science sur la culture de son pays, a travaillé directement en français avec une journaliste, Danièle Georget.

Les bénéfices vont aussi à l’AMC France-Ukraine.

Avec AFP