Philippe Audi-Dor est un jeune réalisateur qui a mis récemment en ligne un court documentaire sur l’après-coup de l’explosion au port de Beyrouth. Déterminé à sortir des sentiers battus, il a tout de suite souhaité le partager avec le maximum d’audience possible, dans le souci de faire passer un message qui soit audible par les Libanais. Ici Beyrouth s’est entretenu avec lui. Le lien menant au mini film se trouve à la fin du texte.

Parlez-nous de votre carrière de réalisateur ?  Comment cette aventure a-t-elle débuté ?

Je pense que des graines de réalisateur ont germé dès mon enfance : le plus âgé de tous mes cousins, je passais nos vacances à nous mettre en scène dans des pièces de théâtre ou des petits films que j’écrivais seul ou avec eux… Fast-forward au début de ma vingtaine : Je finis des études (théoriques) de cinéma et sociologie, et vais faire des stages dans les bureaux de studios à Los Angeles (en Print Advertising et Development). L’envie de réaliser étant toutefois toujours aussi écrasante que pendant mon enfance, je pars pour Londres étudier la réalisation au sein d’une école d’acteurs (Drama Centre London, à Central Saint Martins). En sortant de cette formation, je décide de constituer une petite équipe afin de tourner un long-métrage. Notre budget était minuscule certes, mais nous étions passionnés. De cette aventure est né ‘Wasp’, mon premier film, et j’étais lancé…

Votre court métrage sur le 4 août a été réalisé presque deux ans après la catastrophe. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

Puisque j’ai entrepris ce projet à mon propre compte je n’avais pas d’échéances particulières, ce qui m’a permis de prendre le temps nécessaire pour réaliser un film dont je suis fier et convaincu. Il y a ensuite deux raisons pour lesquelles ce projet m’aura pris presque deux ans :

La première est tout simplement parce que le montage était par moments très dur émotionnellement, et je devais prendre des pauses. Écouter en boucle des heures et des heures des enregistrements de gens qui vous parlent de la pire journée de leur vie est exténuant. Je passais souvent des larmes à un détachement total… il fallait que je trouve le bon état d’esprit afin de bien faire les choses.

Des amis réalisateurs m’ont conseillé de donner toutes mes images et enregistrements à un monteur, mais je tenais absolument à rester en complet contrôle de ce qui était inclus ou non dans le film. Je ressentais une réelle responsabilité par rapport à la confiance que les gens interviewés avaient mis en moi en me confiant leurs histoires.

La seconde, plus technique, est liée au fait que c’est la première fois que je m’essaie au documentaire. Contrairement à un film de fiction où un scénario dicte le cadre de la réalisation, j’avais ici la sensation de faire face à un puzzle qui m’offrait une infinité de possibilités. Si le montage a été si long, c’est parce que je voulais trouver le ton correct (ni sensationnaliste, ni misérabiliste, mais chargé d’émotions, d’informations et de poésie), dans un documentaire qui puisse autant s’adresser aux Libanais qu’aux étrangers.

J’ai ainsi monté plusieurs versions (une avec les images de l’explosion, une avec une narration de ma part, une avec de la musique, etc.), que je retravaillais ensuite selon les retours que je recevais. Je suis d’avis que mieux vaut tout essayer au moment du montage plutôt que de regretter quoi que ce soit après la sortie du film.

Pourquoi souhaitez-vous partager largement ce court-métrage en particulier ?

Prendre le chemin des festivals est ce qu’il y a de plus commun pour un court-métrage. Cela permet de gagner de la visibilité, parfois des prix, et de se faire connaître par ses pairs, mais tout cela prend du temps (environ un à deux ans). Vu le contexte politique actuel au Liban, je voulais que le film soit accessible aux Libanais aussi vite que possible pour que l’on se remémore ce qui nous est arrivé. Étant Libanais par ma mère, je ne détiens pas la nationalité et ne peux voter… Sortir ce documentaire maintenant, c’est ma façon de faire entendre ma voix et demander le changement.

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Voici par ailleurs un texte extrait du site de Philipe Audi-Dor qui accompagne sa vidéo que l’on peut visionner à partir du lien ci-dessous :

Lors d’une discussion, une amie a comparé l’explosion à un monstre, sur le point de s’abattre sur la ville…

Le 4 août 2020, l’explosion au port de Beyrouth fait 220 victimes, en blesse 6.500 et laisse 300.000 personnes sans logements. L’un des quartiers les plus sévèrement touchés est Achrafieh, où vit ma mère. C’est le lieu où j’ai passé la plus grande partie de mon temps au Liban, passant des heures à regarder et filmer la ville depuis notre balcon.

 Je me suis rendu à Beyrouth trois jours après l’explosion. Être témoin de l’ampleur de la destruction, des amis blessés et du décès de connaissances et de voisins était bouleversant.

Je me suis à nouveau rendu au Liban en octobre 2020. À mesure que je découvrais les histoires des résidents d’Achrafieh, il m’a semblé crucial de les enregistrer. Je voulais garder une trace de ce qui s’était passé, et de la façon dont les Beyrouthins vivaient l’après-coup. Je suis rentré à Paris avec des heures d’enregistrements.   

De retour en Europe, j’ai réalisé à quel point les journaux n’en avaient que pour le sensationnalisme (l’explosion, la destruction) tandis que la plupart des documentaires avaient tendance à adopter une approche misérabiliste dans leur représentation des Libanais. Même si ces points de vue sont justifiables, j’avais l’impression que personne ne s’intéressait vraiment à ce que le Libanais ‘moyen’ était en train de vivre.

Lorsque j’ai retrouvé d’anciens films de Achrafieh que j’avais filmés en septembre 2019, j’ai décidé de les combiner avec les enregistrements afin de créer ce court documentaire. Mon intention était de rester aussi loin que possible du sensationnalisme ou misérabilisme et de simplement montrer les questions et sentiments qui traversaient les Libanais à ce moment-là : nostalgie, culpabilité, incertitude, mais aussi une envie de donner un sens à ce qui s’était passé afin d’aller de l’avant.

Plus que tout, je voulais rendre honneur aux Libanais. Malgré tout ce qu’ils avaient enduré, ils refusaient de se lamenter sur leur sort et trouvaient la force et le courage de se reconstruire.

https://www.philippeaudidor.com/beirut-facing-the-monster/

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