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Hareth Boustany, qui s’est éteint le 28 février 2024, fut l’une des figures intellectuelles qui ont inlassablement œuvré pour le Liban. Ancien conservateur en chef des musées nationaux, ancien directeur des fouilles du centre-ville de Beyrouth, professeur émérite d’archéologie et d’histoire, maître de thèses à l’école doctorale de l’Université libanaise, il fut aussi le fondateur et directeur du musée archéologique de l’Université libanaise (UL) et l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages historiques et archéologiques sur le Liban et les peuples du Levant.

Fils de l’illustre historien, écrivain, linguiste, professeur et encyclopédiste Fouad Ephrem Boustany, Hareth Boustany a hérité de son érudition et de sa passion pour l’Histoire des civilisations. Mais surtout, il a gardé en mémoire les paroles de son père qu’il accompagnait dans ses recherches et dont il a beaucoup appris: "Plus tu avances dans les sciences et la connaissance, plus tu deviens modeste." Paroles qui deviendront sa devise.

Né à Deir el-Qamar en 1944, il a grandi à Beyrouth et poursuivi ses études au Collège Notre-Dame de Jamhour. Son attachement à son village natal, auquel il rend hommage, s’exprime à travers son ouvrage Deir el-Qamar, cité de culture, d’art et d’histoire (2019).

Sa grande admiration pour son père, véritable puits de connaissances et de valeurs humaines, a alimenté son désir de devenir historien et archéologue. Il suivra des études en archéologie à l’UL, dont Fouad Ephrem Boustany est le fondateur et le premier recteur (1953-1970). Puis, il s’envolera à Paris en 1966 pour poursuivre son doctorat à la Sorbonne, couronné par une thèse sur "La représentation de l’individu dans l’art phénicien". De retour au Liban en 1969, il occupe son premier poste de professeur à 25 ans, à la faculté d’information de l’UL et y enseigne l’histoire des civilisations anciennes.

Nommé en 1970 conservateur en chef des musées nationaux au sein de la Direction générale des antiquités, Hareth Boustany occupera ce poste jusqu’en 1979 avant que Boutros Dib, recteur de l’UL, ne le sollicite pour qu’il se consacre à l’enseignement. Il y donnera infatigablement jusqu’en 2014 des cours d’histoire ancienne et d’archéologie, d’histoire des arts occidentaux, d’histoire de l’art dans les civilisations musulmanes, de méthodologie de l’archéologie et de muséologie. Il enseignera également à l’Université Saint-Joseph et à l’Université Saint-Esprit de Kaslil, et donnera une série de conférences en Europe (Collège de France) et dans les pays du Moyen-Orient.

Lorsqu’en 1975, il apprend du président Camille Chamoun que la guerre allait durer, il demande à Maurice Chehab, directeur de la DGA, l’autorisation de sécuriser les collections du musée national. Hareth Boustany se chargera, avec l’aide de quelques personnes, de faire couler dans des chapes de ciment les pièces volumineuses, dont des bas-reliefs, sculptures, mosaïques et sarcophages. Témoin de la descente aux enfers du Liban, sa grande fierté est d’avoir contribué à sauvegarder les trésors du musée national durant la guerre. D’ailleurs, la préservation de l’histoire et du patrimoine libanais n’était-elle pas sa vocation?

En 1992, Miche Eddé, ministre de la Culture de l’époque, le nomme directeur des fouilles de Beyrouth, où il s’engage à mettre en lumière les trésors archéologiques enfouis sous les strates de la ville, et ce jusqu’en 2000.

Il se réclame des Phéniciens, civilisation qui a laissé son empreinte dans la Méditerranée et dont il retrace l’histoire dans Les Cananéens-Phéniciens, Peuples et Terres (2007). Il y revient dans Le Liban aux sources de l’humanisme (2014) où il évoque dans sa dédicace en guise de préface à son père "les génies immortels du Liban". Dans son livre Fakhreddine II le Grand, l’Europe et l’Orient: patriote, mécréant ou renégat? (2016), il remet les pendules à l’heure et démontre que ce personnage historique, en s’inspirant de la Renaissance florentine, a fait du Liban le digne descendant de la Phénicie antique, apportant la prospérité aux villes comme Beyrouth et Sidon. L’étude menée par le généticien Dr Pierre Zallouaa sur les Libanais porteurs de gènes phéniciens corrobore la thèse que Hareth Boustany a toujours soutenue.

Marina Boustany Bernoti témoigne de son attachement à son frère: "J’ai beaucoup travaillé avec Hareth dans la traduction des livres de mon père. Il a toujours été présent et très proche. Une grande part de moi est partie avec lui."

Alexandre Samaha, camarade de la promotion 1963 du Collège Notre-Dame de Jamhour, témoigne: "Notre amitié qui remonte à une soixantaine d’années ne s’est jamais démentie. Hareth a toujours été pour moi une référence, ses conseils m’étaient précieux. Il est surtout un homme de grande culture qui a beaucoup donné au Liban sur le plan éducatif et sur le plan du patrimoine national. Il mérite la reconnaissance et, d’ailleurs, je vais œuvrer à la publication de sa biographie."

Pour Hiram Corm, "Hareth a toujours été la référence et le soutien à la fondation Charles Corm jusqu’à son dernier souffle! Il continuera à inspirer l’histoire et la civilisation libanaises et restera une référence de l’honnêteté. Il nous manquera! Mais il est toujours présent dans nos âmes silencieuses."